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Agnès Lo Jacomo : « Dans ce pays, impossible de faire les choses simplement ! »

Agnès Lo Jacomo, présidente du Medef Île-de-France, fait le point sur l'ensemble des dossiers chauds de ce début d'année, de l'instauration de la pénibilité en entreprise à la réforme de la formation, en passant par le pass Navigo à tarif unique et le développement des infrastructures du Grand Paris.
Agnès Lo Jacomo : « Dans ce pays, impossible de faire les choses simplement ! »

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Affiches Parisiennes : Plusieurs mesures concernant les entreprises sont effectives depuis le 1er janvier. Certaines étaient attendues par les chefs d’entreprise, d’autres sont plus contestées, notamment la pénibilité…

Agnès Lo Jacomo : La pénibilité est un très gros problème pour les chefs d’entreprise, notamment de TPE et de PME. Les documents sont extrêmement compliqués à remplir, à l’instar du suivi quotidien des tâches assurées par les salariés. Cette gestion fastidieuse va entraîner des coûts supplémentaires qui obèreront d’autant la compétitivité des entreprises. Quant aux petites structures, elles vont affronter un véritable casse-tête assorti d’une insécurité juridique extraordinaire. Telle qu’elle est proposée aujourd’hui, la pénibilité va donner lieu à de multiples contestations. Comment vérifier et prouver au quotidien qu’un salarié effectue des mouvements avec un buste à plus de 45° pendant plus de 20 minutes ? La gestion du travail de nuit et de l’environnement hyperbare va également être très compliquée. Dès le mois d’octobre, la première action du Medef a été de faire en sorte qu’au 1er janvier 2015, il n’y ait que quatre critères pris en compte : le travail de nuit, le travail en équipe alternée, en milieu hyperbare ou soumis à des tâches répétitives.

Début décembre, nous avons également initié une semaine d’action pour réaffirmer que le premier souci des chefs d’entreprise doit être l’emploi et que cette pénibilité ne va pas contribuer à l’embauche.

Par ailleurs, la plupart des grandes entreprises ont pris des mesures, depuis des années, pour proposer des alternatives de fin de carrière à leurs salariés les plus exposés. Le dispositif mis en place n’en tient absolument pas compte. Cette mesure très technocratique semble avoir été élaborée par des gens qui n’ont aucune idée du fonctionnement d’une entreprise et qui n’ont pas tenu compte de ce qui a été fait précédemment.

Nous avons néanmoins obtenu du gouvernement qu’il nomme une commission, composée d’un parlementaire et d’un chef d’entreprise, chargée de tenter de mettre en place une pénibilité à coût administratif nul. Elle doit rendre ses travaux à la fin du premier semestre… On ne voit d’ailleurs pas très bien comment elle va résoudre ce problème. Dans un récent courrier, Manuel Valls a précisé qu’en 2015, les entreprises n’auraient rien à faire. Les premières déclarations ne seront obligatoires que début 2016. Pour l’instant, les entreprises n’ont donc pas encore pris en compte la pénibilité. Nous attendons…

Pour nous, chefs d’entreprise, la mesure actuelle est ingérable et génère une insécurité juridique démente. Comment voulez-vous attirer des sociétés étrangères avec ce genre de fatras ? Tout le monde nous prend pour des fous. Si nous voulons résoudre les problèmes de l’emploi, il faut bien que nous parvenions aussi à attirer des sociétés étrangères sur notre sol !

A.-P. : La réforme de la formation est également d’actualité, quelle est la position du Medef-Île-de-France sur ces nouvelles mesures ?

A. L. J. : Cette réforme de la formation est entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Voilà quelque chose d’extrêmement important. Ces mesures ont d’ailleurs été mises en place avec la participation du Medef. D’une façon générale, il est tout à fait bénéfique que la formation ne soit plus une obligation pour l’entreprise, avec ce taux de cotisation unique dont la destination était à peu près inconnue. La réforme est beaucoup plus dynamique. Chaque salarié dispose à présent d’un compte formation qui va le suivre durant toute sa carrière. Toutes les mesures qui permettent de resituer un peu le débat sont les bienvenues. Cette réforme de la formation va donc dans le bon sens.

A.-P. : Sur un plan plus général, l’instauration de la pénibilité et l’augmentation des taxes locales ne viennent-elles pas ternir le Pacte de responsabilité ?

A. L. J : Absolument. Ce pacte de responsabilité, que nous appelions « pacte de confiance », nous l’avons salué. Il irait dans le bon sens si, parallèlement, les mesures qui sont prises actuellement, comme la pénibilité, n’allaient pas dans le sens inverse. Il faut tout de même rappeler que les premières mesures de ce pacte ne sont effectives que cette année et qu’elles s’ajoutent au CICE. Ce dernier est également une bonne mesure, certes un peu compliquée, en un mot « à la française » puisque dans ce pays, il est impossible de faire les choses simplement. Nous demandions que l’on réduise les charges sociales, c’était plus facile et favorable à la compétitivité. Il faut absolument réduire ce taux écrasant par rapport à d’autres pays européens. Ce que je regrette sur le CICE, c’est qu’il ne favorise que les bas salaires. Ce qui fait que les plus hautes rémunérations, assorties d’un taux de charge extrêmement important, s’exilent sous d’autres cieux. Ce n’est pas le dogme ambiant, mais voir des chercheurs et des ingénieurs délocalisés dans des pays voisins est dommageable. Cette fuite des cerveaux inquiète beaucoup le Medef. Nous voyons bien que deux populations du monde de l’entreprise quittent progressivement la France : les patrons qui cèdent leur société et sont contraints de s’installer à l’étranger pour s’en sortir fiscalement, et beaucoup de jeunes. Le nombre de jeunes qui désertent notre pays est très inquiétant. Cette génération « Y » ne voit plus de débouchés motivants en France, pas de plans de carrières qui se dessinent comme dans le passé. Je ne sais combien de temps va durer cette tendance…

C’est vrai que nous avons des startups, essentiellement parce qu’elles sont aidées, mais dès qu’elles se développent et passent au stade de PME ou d’ETI, elles deviennent des cibles. D’ailleurs les ETI délocalisent pour la plupart. J’ai personnellement une PME qui est devenue une ETI, quand je vois le nombre de taxes supplémentaires, d’obligations supplémentaires, c’est ahurissant ! On n’en sort pas…

« Pour nous, chefs d’entreprise, la mesure actuelle sur la pénibilité est ingérable et génère une insécurité juridique démente »

A.-P. : Le Medef-Île-de-France est-il favorable à la loi Macron, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale ?

A. L. J. : La loi Macron impacte beaucoup de choses. Bien évidemment, le Medef est favorable à tout ce qui peut redynamiser l’économie et permettre aux entreprises de se libérer d’un certain nombre de carcans administratifs. Une certaine libération des professions réglementées devrait créer de nouveaux emplois. En revanche, ce que nous regrettons beaucoup, ce sont ces quelque 1 800 amendements qui ont été déposés. Il est donc trop tôt pour savoir exactement ce que contiendra cette loi… Pour l’instant, c’est un texte dense, une manière d’inventaire à la Prévert, avec néanmoins de très bonnes mesures.

A.-P. : La Région a annoncé en fin d’année le pass Navigo à tarif unique. Votre réaction ne s’est pas fait attendre…

A. L. J. : Oui, le Medef-Île-de-France a vivement réagi. Je trouve cette mesure complètement démagogique à côté de nos préoccupations actuelles pour l’emploi. Le pass Navigo à tarif unique ne va strictement rien apporter et rien résoudre. C’est une décision qui satisfait les Franciliens qui résident en lointaine banlieue, en défavorisant du même coup ceux qui habitent à Paris. Pour ces derniers, le coût des transports va augmenter. Pas de beaucoup, certes, mais quand même…

En attendant, les entreprises vont devoir régler la facture en prenant en charge 250 millions d’euros supplémentaires. Alors que le Medef ne cesse d’expliquer son exigence de compétitivité. On se demande si les décideurs régionaux ont les connaissances économiques de base !

Nous affrontons une désindustrialisation importante de notre pays et de notre région, en perdant de nombreux emplois dans ce secteur. Je reste persuadée que nous devons retrouver une industrie puissante. Ce n’est pas avec les services que nous allons pouvoir exporter davantage. Nous comptons encore dans l’industrie du luxe et l’aéronautique. En dehors de cela, tout a périclité depuis des années, en particulier l’industrie automobile. Nous devons à nouveau être compétitifs sur ces secteurs clés. L’Allemagne a aujourd’hui une industrie automobile forte sur le haut de gamme, pourquoi ne pas suivre son exemple ? Par ailleurs, nous avons des travaux publics en berne avec le ralentissement des investissements dans les infrastructures. Le bâtiment est, lui aussi, au point mort. En France, on construit tout au plus 300 000 logements par an, au lieu des 500 000 nécessaires. Ne pensez-vous pas qu’au niveau régional, nous aurions mieux fait d’investir les 250 millions supplémentaires du pass Navigo à tarif unique dans le secteur immobilier ? On sait que construire un logement neuf, c’est 2,8 emplois. Cette dynamisation de la construction aurait pour vertus premières de rapprocher les gens de leur travail, de créer de l’emploi et des infrastructures… Nos élus préfèrent toucher le plus de monde possible dans un but qu’on devine facilement : les prochaines élections régionales ! Sur le fond, je trouve cela nul et sur la forme, cette décision a été prise sans aucune concertation avec le Medef et les autres organisations patronales. La Région nous a mis devant le fait accompli. Il n’y a même pas eu d’étude d’impact. Le seul impact que l’on connaît, c’est ce coût supplémentaire que vont devoir supporter les entreprises.

Parallèlement, les taxes locales continuent à augmenter de manière alarmante, puisque l’État se décharge progressivement de ses responsabilités. Ce sont les collectivités qui vont devoir affronter les problèmes.

A.-P. : En revanche, vous appelez plus que jamais de vos vœux le développement du Grand Paris ?

A. L. J. : Comme je le soulignais précédemment, le Medef-Île-de-France est très favorable au développement des infrastructures, notamment les transports, en particulier le Grand Paris Express. C’est essentiel ! Paris est la seule capitale importante au niveau international qui n’a pas une liaison directe, à grande vitesse, entre ses aéroports et le centre de la ville. Quand on connaît les problèmes de circulation sur les autoroutes A1 et A6, l’accueil des touristes n’est guère optimal. À ce sujet, nous nous targuons d’être le premier pays au monde en nombre de visiteurs étrangers. En revanche, la France apparaît en sixième position en termes de revenus du tourisme. Nous attirons donc le monde entier, mais nous ne savons pas le captiver. Les touristes aisés ne viennent plus à Paris. Ils préfèrent dépenser leurs devises à Londres ou dans d’autres capitales européennes. Des transports peu commodes et les fermetures dominicales sont deux des raisons majeures de ce paradoxe. Nous souhaitons que nos grands magasins et nos services récupèrent toutes ces devises… Le Medef est pour le travail dominical, le moins encadré possible, néanmoins sur la base du volontariat et avec le dédommagement des salariés.

« Ne pensez-vous pas qu’au niveau régional, nous aurions mieux fait d’investir les 250 millions supplémentaires du pass Navigo à tarif unique dans le secteur immobilier ? »

A.-P. : Quelles sont actuellement vos priorités régionales ?

A. L. J. : Tout d’abord, le Medef-Île-de-France veut être tout à fait moteur dans tout ce qui concerne la métropole du Grand Paris. C’est vraiment notre priorité. Nous souhaitons par ailleurs faire davantage entendre la voix des patrons d’Île-de-France. Nous essayons actuellement de mettre en place des moyens de communication, notamment des baromètres d’opinion sur les grands événements en Île-de-France. Je pense également que les patrons ne se sont pas suffisamment occupés jusqu’à présent du problème des mandats dans la gestion paritaire, que ce soit les conseils des prud’hommes ou les mandats sociaux CPAM. Cette gestion paritaire est très importante pour les chefs d’entreprise. Nous avons quelque 4 000 mandats à assumer dans notre région. Or, très souvent, les mandataires ont un certain âge et il devient compliqué de leur trouver des remplaçants. Compte tenu du contexte économique, il est difficile de motiver des patrons d’une quarantaine d’années pour prendre la relève. Nous allons devoir redorer de blason de ces missions en aidant ceux qui sont en place et en leur trouvant des successeurs.

A.-P. : La reprise d’entreprises est également un sujet d’actualité pour la région ?

A. L. J. : Bien sûr. Dans les cinq ans qui viennent, le tiers des entreprises d’Île-de-France vont être cédées à cause du départ à la retraite de leur manager. Nous allons devoir examiner concrètement les interactions de la loi Hamon, notamment l’influence de l’obligation d’information des salariés qui risque de bloquer ces reprises…

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