AccueilDroit & chiffreAJ : le bâtonnier appelle à la grève générale

AJ : le bâtonnier appelle à la grève générale

Plus mobilisés que jamais, les avocats sortent l'artillerie lourde pour protester contre le projet de réforme du financement de l'aide juridictionnelle (AJ). Le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, a annoncé, lors de la manifestation sur les marches du Palais, la grève générale de l'AJ dès lundi 20.
Le bal des robes en colère sur les marches du Palais de Justice le 16 octobre
Le bal des robes en colère sur les marches du Palais de Justice le 16 octobre

Droit & chiffre Publié le ,

Un vrai ballet de parapluies et de robes noires fut dansé sur les marches du Palais de justice de Paris. Les avocats sont excédés et protestent contre la réforme de l’aide juridictionnelle contenu dans l’article 15 du projet de loi des finances pour 2016.

Leur mot d’ordre placardé sur de nombreux panneaux et affiches : « Non à une justice law cost ». « J’irais même plus loin en disant que si c’est law cost, ce n’est pas de la justice », fait remarquer un avocat.

Les avocats sont tous mobilisés car l’AJ est une problématique d’intérêt national. « C’est historique, c’est la première fois qu’on est tous unis ! ». Si les robes noires sont si concernées, ce n’est pas uniquement pour défendre leur pré carré, mais aussi pour les justiciables « qui méritent mieux qu’une justice law cost ». En dehors de toute considération partisane, les avocats sont unis car « il n’y a ni gauche ni droite dans le domaine de l’accès au droit ».

Le bâtonnier a ainsi annoncé avec vigueur la grève générale de la profession en réponse au désengagement de l'Etat.

Grève générale ?

« On se met en grève générale à partir de lundi. Cela veut dire concrètement qu’on arrête tout ce qui touche aux commissions d’office, en matière civile et pénale », nous explique une avocate.

Une centaine d’avocats étaient réunis autour de Pierre-Olivier Sur et Laurent Martinet, leur bâtonnier et vice-bâtonnier ce 16 octobre pour manifester leur mécontentement et mener de front « le combat » lancé vendredi dernier pas Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux (CNB). Toutefois, si certains sont confiants sur les effets de cette manifestation et de la grève générale annoncée, d’autres sont plus réservés, voire même désabusés.

La plupart estiment que le gouvernement ne les entend pas et ne les pense pas capables d’immobiliser le système de l’aide juridictionnelle qui permet l’accès au droit aux justiciables les plus démunis. Ils sont lassés que les Pouvoirs publics leur en demandent toujours plus, alors qu’ils sont pourtant les acteurs principaux de l’accès au droit pour « trois fois rien ».

Certains pensent que le succès de leur combat va dépendre de leur capacité à mobiliser l’opinion publique. De fait, celle-ci est totalement ignorante du fonctionnement du système de l’AJ et de ce que gagnent vraiment les avocats qui participent à ce service public.

Conséquences concrètes d’une réforme de l’AJ « scélérate et ingrate »

Le bâtonnier Sur (au centre de la photo, au-dessus du parapluie orange tenu par Dominique Attias, vice-bâtonnier élue, qui cache partiellement Frédéric Sicard, bâtonnier élu) a donné un exemple très parlant. La rémunération actuelle d’un avocat commis pour une garde à vue s’élève à 300 euros hors taxes, forfaitairement pour 24 heures. Selon les projets de la Chancellerie, celle-ci passerait à 181 euros. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que de cette somme doivent être retirées de nombreuses taxes, ce qui laisse les défenseurs avec une indemnité réduite à peau de chagrin. « Sur ce qu’on me paye, je dois déduire mes cotisations pour les Urssaf, le RSI (assurance maladie), la CNBF (caisse nationale des barreaux de France qui cotise les retraites des avocats), les cotisations ordinales, et comme tout bon citoyen, les impôts sur le revenu. Finalement, on en revient à travailler pour rien », s’exclame un avocat spécialisé en droit administratif. Ce dernier précise que l’AJ n’intervient pas uniquement pour les gardes à vue, elle peut aussi se faire pour tout dossier. Par exemple, dans son domaine, un avocat peut travailler et défendre son client pendant plusieurs années devant les juges administratifs avant que l’Etat ne lui verse seulement 400 euros au titre de l’AJ.

La réforme va ainsi appauvrir la profession qui se verra contrainte de rediriger ses fonds promis aux actions de bénévolat, d’accès au droit ou de protection des femmes avocates dans l’AJ. « C’est une décision vraiment scélérate, comme disait le bâtonnier, dans la mesure où elle va priver les avocats de beaucoup de choses. Elle entraînera nécessairement la paupérisation de la profession », résume une avocate scandalisée.

Quelles alternatives ?

Les robes noires n’ont pas que des reproches envers la Chancellerie. Ils ont aussi quelques solutions pour financer l’accès au droit. Les propositions de financement du CNB pour l’AJ sont connues de longue date comme la taxe analogue au droit d’enregistrement sur les actes enregistrés par les avocats et les notaires. Un avocat tient à préciser que « ce ne serait pas une taxe sur l’activité des notaires, mais sur les transactions dont ils ont le monopole. Ce n’est donc pas un coup de poignard dans le dos de nos confrères, mais une taxe à l’assiette plus large et plus juste qui peut être envisagée. On parle de 15 millions d’euros, ce qui n’est pas un budget extraordinaire pour un service public.»

« En réalité, ce qu’il faudrait, c’est un financement plus large de l’AJ, pas simplement un financement par les usagers de la justice, mais un financement avec une assise plus large parce que cela concerne tout le monde, c’est vraiment un service public », estime un autre avocat. « Si on veut vraiment envisager un financement pérenne de l’AJ, il faut réfléchir à une nouvelle taxe pour permettre aux gens les plus démunis d’avoir un avocat qui ait vraiment la capacité et le temps de se consacrer à leur dossier », poursuit-il.

D’autres, au contraire, sont contre l’ajout d’une nouvelle taxe et pensent qu’un rééquilibrage budgétaire suffirait. « Je pense qu’il faudrait juste que l’Etat mette des moyens dans la Justice, parce que le budget de la Justice en France est l'un des plus faibles d’Europe. Il serait temps que l’Etat se dote d’une justice à la hauteur de sa réputation », explique ce professionnel. Et un autre d'ajouter : « Je ne pense pas qu’il faille taxer parce que je fais partie de ceux qui pensent qu’en France on taxe suffisamment. Je crois qu’il faut faire des économies budgétaires sur certains postes de la fonction publique qui sont redondants et concentrer les besoins. On parle ici de service public de la justice, c’est à l’Etat de rediriger les ressources et de faire des économies là où il est possible de les faire ».

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