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Déserts médicaux : la chasse aux médecins

Avec 84, 3 % de son territoire classés en zone d’intervention prioritaire (ZIP), la Seine-et-Marne est l’un des déserts médicaux les plus avancés de France.
Les étudiants en médecine sont très courtisés en Seine-et-Marne, un département confronté à la désertification médicale.
DR - Les étudiants en médecine sont très courtisés en Seine-et-Marne, un département confronté à la désertification médicale.

ActualitéSociété Publié le , Cecilia CAVASSONI

Tout sourire, Anne Gbiorczyk échange avec des étudiants en médecine venus faire leur stage en Seine-et-Marne. A l’occasion de cette “soirée d’accueil des internes“, un kit de bienvenue est remis à chaque invité. Celui-ci contient une offre touristique, un catalogue des opportunités d’installation d’exercice, un guide des aides financières disponibles, ainsi qu’un recueil sur les établissements scolaires et le mode d’accueil des enfants en Seine-et-Marne. La vice-présidente du Département, en charge notamment de la présence médicale, l’admet : derrière cette soirée organisée en grande pompe au château de Fontainebleau se cache la volonté de “favoriser l’implantation des internes sur le territoire et d’améliorer la démographie médicale”. Car si la Seine-et-Marne rayonne par son patrimoine, elle brille aussi par ses déserts médicaux.

Moins d’un généraliste pour 1 000 habitants

En 2018, notre département occupait ainsi la 97e place (sur 101 !) du classement des territoires en matière de présence médicale. Pis, selon la Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques (DREES), la Seine-et-Marne compte moins d’un généraliste pour 1 000 habitants, alors que la moyenne nationale est d’1, 47 médecins. “Il n’y a pas un endroit où ce n’est pas un sujet, sauf peut-être dans le secteur de Fontainebleau où ça va un peu mieux”, explique Claire Siret, présidente de l’Ordre des médecins de Seine-et-Marne.

Selon l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, zones urbaines comme rurales sont concernées avec 84,3 % du département classés en zone d’intervention prioritaire (ZIP). En cause : une population médicale vieillissante et un manque de renouvellement. Un “papy-boom” dû au fameux numerus clausus, mesure prise en 1971 pour réguler le nombre de médecins et qui a conduit à une baisse des effectifs dans tout le pays. Là encore, la Seine-et-Marne est plus touchée qu’ailleurs. Le conseil national de l’Ordre des médecins rapporte ainsi un âge moyen de 52 ans pour les médecins exerçant dans le département contre 50,3 ans en moyenne. “Cette manne de professionnels va s'essouffler d’ici 2028, car beaucoup vont partir à la retraite” s’inquiète Claire Siret.

Attirer les professionnels manquants

Mi-juin 2020, en pleine pandémie de Covid-19, le conseil départemental de Seine-et-Marne lance le pacte Santé 77 qui a notamment pour mission d’attirer le millier de professionnels de santé manquant sur le territoire et de les convaincre de s’y installer avec leur famille. “Si vous voulez accueillir un médecin à un endroit, il faut qu’il y ait de quoi vivre”, résume le docteur Siret, faisant allusion à des réseaux numériques ou des transports parfois à la peine dans certaines zones du département. Pour Guy Geoffroy, maire (LR) de Combs-la-Ville et président de l’Association des maires de Seine-et-Marne (AM 77), ce manque d’attractivité est aussi lié à la spécificité du département, partagé entre citadinité et ruralité : “l’entre-deux plait moins et cela se voit également dans d’autres secteurs comme la police ou l’Education nationale, où l'on a aussi du mal à recruter”. En 2021, un rapport de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) indiquait que 38 % des départs n’étaient pas compensés.

Stratégie de reconquête médicale

L’absence de centres hospitaliers universitaires (CHU) se fait cruellement sentir en Seine-et-Marne. Ces établissements de santé, liés par une convention avec une université, permettent, en effet, à un territoire d’accueillir des soins, de la recherche, mais surtout des étudiants en médecine. C’est d’ailleurs l’un des principaux enjeux dans la lutte contre la désertification médicale : attirer un vivier de futurs praticiens qui pourraient, par la suite, remplacer les médecins partant à la retraite. Mais pour cela, il faut les accompagner, comme l’explique Claire Siret : “Aujourd’hui, un jeune va plus facilement s’installer dans un endroit qu’il connaît et où il sait comment cela se passe.”

Dans cette optique et dans le cadre de sa stratégie de “reconquête médicale”, le Département a noué un partenariat avec le conseil départemental de l’Ordre des médecins pour “favoriser l’accès à la maîtrise de stages universitaires”. Depuis une dizaine d’années, des facultés de médecine parisiennes délocalisent leurs antennes à Torcy, Melun ou encore Lieusaint, évitant ainsi aux étudiants locaux de longs trajets et de quitter le département. Car auparavant, il leur fallait aller à Créteil (Val-de-Marne) ou à Paris pour étudier.

Vers une médecine à deux vitesses ?

Si des aides à l’installation, ainsi que des bourses existent, les collectivités territoriales mettent aussi la main à la poche. C’est le cas de la Communauté d’agglomération Melun Val de Seine (qui a ouvert une antenne universitaire près de la gare de Melun en partenariat avec l’université Paris-Est Créteil), qui propose “une indemnité d’étude mensuelle de 600 euros, dix mois par an pendant cinq ans”. En contrepartie, les futurs praticiens s’engagent à “exercer leur activité sur le territoire communautaire pour une durée équivalente”. Le centre hospitalier Sud Seine-et-Marne (qui regroupe les établissements de Montereau, Nemours et Fontainebleau) offre, lui, des primes d’embauche allant de 2 700 à 3 400 euros aux futurs soignants bouclant leur cursus universitaire et s’engageant pour une durée minimum de 15 mois. Mais le risque est d’entrer dans une “spirale de la surenchère”. C’est l’avis d’Yves Lagües Baget, chargé des questions de désertification médicale au sein de l’Association des maires ruraux de Seine-et-Marne (AMR 77) : “les petites communes n’ont pas les moyens d’adopter cette méthode où celui qui paie le plus va récupérer le maximum de médecins. D’autant qu’on n'a aucune garantie qu’ils vont rester par la suite”.

Réguler ou pas ?

Le débat sur la régulation d’installation des médecins est récurrent. Le mois dernier, c’est avec la proposition de loi Valletoux (député Horizons de la 2e circonscription de Seine-et-Marne et ex-président de la Fédération hospitalière de France) que la question a surgi à l’Assemblée nationale. Les médecins se sont insurgés contre l’amendement déposé par le député (PS) Guillaume Garot, mais finalement rejeté. A raison pour Claire Siret : “la coercition, ça ne marche pas. Si vous êtes dix pour remplir 100 cases, vous pourrez vous déplacer dans d’autres cases, vous serez toujours dix. La réalité est qu’on ne sera pas assez nombreux. Les médecins vont mal et sont fatigués”. La réponse d’Yves Lagües Baget, de l’AMR 77, se veut plus nuancée : “je ne suis pas favorable à l’obligation, mais il faut que la répartition soit plus équitable entre endroits sur-dotés et sous-dotés”. Dans un rapport publié en avril, l’AMR 77 avait pointé une aggravation des écarts d’espérance de vie entre départements ruraux et urbains. A âge et sexe égaux, l’indice de mortalité des bassins de villes ruraux est supérieur de six points à celui des bassins de villes urbaines. Les déserts sont parfois mortels…

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