Être directrice d'une antenne de l'ARS actuellement, c'est épuisant ou enrichissant ?
Les deux ! Notre mobilisation doit être permanente et nous devons être très présents dans les territoires pour, à la fois, accompagner les acteurs, promouvoir les projets, piloter la transformation du système de santé et encourager les initiatives. Mais la contrepartie, c'est que les partenariats avec tous les acteurs sont très riches et dans ce secteur composé à 75 ou 80 % de ressources humaines, l'enrichissement des relations est permanent.
Comment les missions de l'ARS ont-elles évolué avec cette crise sanitaire ?
Les équipes de l'ARS, donc celles de sa délégation de Seine-et-Marne (DD77), se sont mobilisées en amont dès l'arrivée des premiers cas, en janvier. Nous avons dû nous décloisonner complètement en interne et restructurer la DD77 en cellules “bed management”, “Ehpad“, “renforts”, “contact-tracing”, “masques ”, “tests laboratoires”, ressources médicales”, en fonction des enjeux auxquels nous avons dû faire face. Mais c'est bien notre connaissance des métiers et des réseaux professionnels qui nous a permis de répondre à nos missions en gestion de crise, ainsi que la mobilisation sans faille et sans compter de la majorité des agents. Aujourd'hui, nous intégrons cette activité aux processus métiers de la DD77, ce qui nous conduit à ancrer de nouveaux modes de travail avec nos partenaires et à mettre en place des dispositifs dont je souhaite qu'ils puissent, pour certains, perdurer au-delà de la situation épidémique. Nous aurons alors pu tirer collectivement des bénéfices de cette crise.
Quelle est la situation sanitaire en Seine-et-Marne par rapport au reste de l'Île-de-France ?
Depuis septembre et jusqu'à ces derniers jours, la Seine-et-Marne a eu les indicateurs (taux d'incidence, taux de positivité, taux d'incidence chez les plus de 65 ans) les moins défavorables de l'Île-de-France, comme nous l'avions observé lors de la première vague. Cette situation cache toutefois des disparités territoriales entre les zones urbaines denses et les nombreuses zones plus rurales, qui semblent moins propices à la diffusion de l'épidémie. Depuis ces derniers jours, on constate une décroissance des indicateurs épidémiques et cette décroissance s'observe également en Seine-et-Marne, mais de manière moins prononcée que dans d'autres départements, comme Paris. Sans qu'on l'explique scientifiquement pour l'instant, il est probable que les effets du couvre-feu et du confinement soient moins flagrants dans un département où les interactions sociales sont habituellement moindres que dans des départements très urbanisés. Au 17 novembre, le taux d'incidence était de 228 pour 100 000 (209 en IDF) et le taux de positivité de 18,5 % (17,1 % pour l'IDF).
La Seine-et-Marne possède-t-elle suffisamment de lits de réanimation ?
La gestion de l'offre de soins hospitalière, pour faire face à la crise, s'appuie sur plusieurs principes construits et partagés entre l'ARS et les établissements sanitaires publics ou privés de la région. Il s'agit de la limitation de la déprogrammation, de la solidarité régionale entre établissements de soins et de la montée en puissance coordonnée des territoires et des acteurs de santé. Ainsi, la Seine-et-Marne peut accueillir des patients d'autres départements ou, à l'inverse, transférer un patient vers un autre établissement. C'est dans ce contexte que les données départementales doivent être lues. Les établissements sanitaires du département, publics et privés, se sont largement mobilisés. Actuellement, 59 % des lits de soins critiques sont occupés et 69 % pour les lits d'hospitalisation conventionnelle.
Combien existe-t-il de centres de dépistage mobiles dans le département et sont-ils suffisants ?
Nous avons actuellement 52 sites de dépistage. Ces sites sont essentiellement des laboratoires de biologie médicale qui se sont mobilisés pour proposer des tests à la population. Je salue également l'engagement des hôpitaux du territoire qui, dès le printemps, ont développé un accès aux tests ouvert au public sur le site de Melun ou sur les sites de Jossigny et Meaux, qui réalisent entre 300 et 400 tests PCR par semaine. Afin de répondre à la demande accrue d'accès aux tests courant septembre, l'ARS a déployé 20 centres de dépistage et de diagnostic Covid en Île-de France. En Seine-et-Marne, cela s'est traduit par l'ouverture en octobre d'un centre à Lognes et d'un second à Dammarie-les-Lys. Ces opérations n'auraient pas été possibles sans l'appui des collectivités qui ont mis gracieusement des locaux à disposition. Ces centres réalisent aujourd'hui entre 2 000 et 3 000 tests par semaine. La DD77 a également installé des barnums, soit 26 opérations de dépistage d'une journée dans le département, ayant permis de tester près de 5 190 personnes et d'identifier 169 cas positifs. Enfin, des bus de dépistage itinérants, issus d'une collaboration entre l'ARS et le Conseil régional d'Île-de-France, complètent ce dispositif, principalement pour les zones rurales. Ainsi chaque semaine, environ 25 000 tests sont pratiqués sur les quelque 300 000 tests hebdomadaires pratiqués à l'échelle régionale.
Le principe du “tester-isoler” n'a pas bien fonctionné au moment du premier déconfinement. Comment renforcer cette mesure pour éviter le phénomène de “Stop and Go” ?
Depuis le 11 mai, l'ARS met en œuvre la trilogie “dépister-tracer-isoler”. Nous sommes chargés de l'organisation globale de cette réponse. Avec les médecins, l'Assurance maladie, les laboratoires et l'AP-HP, nous coordonnons l'ensemble du dispositif du dépistage et du “ contact tracing”. Au-delà de l'organisation globale, nos équipes sont chargées de réaliser les enquêtes épidémiologiques autour d'un cas confirmé dans les lieux collectifs et pour toutes les suspicions de clusters (contact tracing dit “de niveau 3”). Nous organisons également, avec les responsables d'établissements et les élus, la conduite à tenir, par exemple, s'il faut fermer ou pas une école. C'est un travail très fin d'analyse et de dialogue, au cas par cas, pour prendre les bonnes mesures, celles qui permettront de casser les chaînes de contamination, tout en préservant au mieux l'activité des établissement concernés. Ce dispositif a porté ses fruits jusqu'à cet été, où nous avons connu une pression importante sur le “ contact tracing” de niveau 3 au regard de l'évolution des contaminations. Pour anticiper la rentrée scolaire, nous avons renforcé nos cellules et recruté plus d'une centaine de personnes. Il est certain qu'avec une circulation du virus de plus en plus dense, notre dispositif a pu atteindre ses limites, mais je rappelle tout de même qu'il n'est qu'une des mesures de prévention. C'est surtout la distanciation sociale et le respect par tous des gestes barrières qui permettent de réduire la circulation virale. Aujourd'hui, c'est un réel enjeu de compréhension. S'isoler soi-même, dès l'apparition des symptômes ou en attente des résultats de test, est fondamental.
Entre tests PCR et tests antigéniques, on est un peu perdus. Quel choix faut-il faire ?
Les tests PCR sont les tests de diagnostic de référence. Ils doivent être privilégiés dans toutes les situations où les tests antigéniques ne sont pas indiqués. Les tests antigéniques s'adressent à tout diagnostic individuel des personnes asymptomatiques ou symptomatiques depuis moins de 4 jours (sauf cas issu de cluster ou cas contact) et pour la réalisation d'un dépistage massif dans une collectivité. Ils nous ont permis de tester massivement les professionnels des Ehpad, ainsi que ceux de certains établissements accueillant des personnes handicapées à risque de forme grave à leur retour des congés, début novembre. Ce sont 45 000 tests qui ont été ainsi distribués dans notre département avec l'appui des trois GHT (Groupements hospitaliers de territoire). À ce jour, ils se déploient également chez les professionnels de ville. Plus d'une trentaine de pharmaciens seine-et-marnais nous a demandé l'autorisation de mettre en place un barnum de dépistage devant les officines. Ils seront également aussi déployés dans les établissements scolaires et en direction de publics précaires, dans le cadre d'actions de prévention.
Êtes-vous toujours à la recherche de renforts professionnels volontaires ?
Les besoins des établissements de santé et médico-sociaux font en effet l'objet d'un suivi renforcé par nos équipes. Leurs besoins sont évalués via une enquête quotidienne que nous menons auprès des établissements de santé et des Ehpad. Ces derniers font d'ailleurs l'objet d'une vigilance toute particulière, compte tenu de situations qui peuvent être préoccupantes. Nous avons réactivé, fin octobre, la plateforme nationale “Renforts-RH” pour mettre en relation les établissements ayant des besoins et les renforts potentiels inscrits. À ce jour, plus de 820 renforts ont été orientés vers les établissements de santé et près de 290 dans des établissements médico-sociaux. D'autres viviers de ressources sont en cours de mobilisation (libéraux, personnels de l'Assurance Maladie, MSA, médecine du travail, associations de sécurité civile, service civique, directeurs et étudiants). Nous avons un partenariat étroit avec Pôle emploi pour la mise en relation entre les Ehpad et des demandeurs d'emploi, mais aussi pour lancer des formations courtes.
Comment lutter contre le phénomène de désertification médicale et les contrats locaux de santé sont-ils une réponse efficace ?
Nous travaillons étroitement avec nos nombreux partenaires (CPAM, Conseil départemental, conseil de l'Ordre, URPS, médecins et professionnels de santé) sur ce sujet de démographie médicale, pour développer des actions. Elles portent notamment sur l'organisation régulière de réunions d'information, l'envoi d'information personnalisée aux professionnels, qui nous sollicitent, ou encore sur la proposition de contrats pour l'aide à l'installation. Ces différentes actions, réalisées à titre individuel, sont complétées par des actions visant à améliorer les conditions d'exercice pour les médecins, de manière à rendre le territoire plus attractif : développement de communautés professionnelles territoriales de santé, d'outils favorisant les coopérations entre professionnels de santé et de la télésanté. Il est devenu nécessaire de travailler de différentes manières, car il n'existe pas de solution unique pour enrayer cette problématique. Dans ce contexte, le contrat local de santé, sur le territoire d'une collectivité, peut être une réponse à une préoccupation publique et collective. Le CLS permet à la santé de devenir un enjeu de plusieurs politiques publiques locales en faveur des jeunes et de l'environnement, notamment. Cette préoccupation publique va permettre de faire émerger des projets et des actions de santé auxquels les professionnels de santé pourront participer ou qu'ils pourront promouvoir.
Les fêtes de fin d'année vont être forcément différentes. Quel conseil souhaiteriez-vous donner ?
À ce stade, je ne sais pas quelles seront les recommandations du président de la République et du Gouvernement. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il faudra continuer de respecter les gestes barrières, la distanciation physique, se faire tester dès lors que l'on est symptomatique ou que l'on a été au contact d'une personne testée positive et s'isoler strictement, y compris au sein de son foyer, en attendant les résultats du test. Ce sont des gestes contraignants, mais qui sont essentiels et à notre portée, individuellement et collectivement, si l'on veut durablement faire reculer le virus.