« C’est un moment particulier de notre vie politique. J’ai l’impression d’avoir un Gouvernement et un pays qui ne sont pas managés ». Sophie de Menthon, présidente d’Ethic n’est pas passée par quatre chemins pour introduire le débat organisé récemment en présence de Jean-François Copé. « Chacun prêche pour sa paroisse. L’intérêt général a disparu. Il est douloureux de voir que les politiques nous divisent pour mieux régner », a-t-elle poursuivi, déplorant que les dirigeants d’entreprise soient pris pour cible, après que les travailleurs ont été mis à contribution via la réforme des retraites.
Trois menaces pour la sécurité
Indiquant vouloir prendre dans un premier temps du recul, Jean-François Copé a estimé que le pays était dans une situation « incroyablement » paradoxale. « Nous sommes confrontés à des dangers extérieurs qui sont extrêmement importants. Il y a très longtemps que nous n’avons pas eu à évaluer des risques comme cela en tant que dirigeants politiques », a-t-il assuré, évoquant d’abord la menace pour la sécurité liée à la guerre en Ukraine.
Le maire de Meaux a également cité trois menaces qui porteraient atteinte à « notre indépendance », à savoir l’énergie, l’alimentation et la santé. « Vous avez vu les pénuries de composants de médicaments… on n'avait jamais entendu parler de ça avant », a-t-il illustré.
L’ancien ministre du budget s’est également dit inquiet de la menace qui pèse sur les prix et la croissance, c’est-à-dire la stagflation. La crise du secteur du logement est, à cet égard, un cas d’usage marquant pour Jean-François Copé. « Cette crise est absolument gravissime et je suis sidéré de voir que le Gouvernement ne prend pas la mesure de ce qui se passe. C’est une vraie bombe à retardement pour les 18 mois qui viennent », a-t-il estimé.
Une radicalisation du débat
Dans un autre registre, Jean-François Copé a pointé une radicalisation du débat, qui a pris « là aussi un tour extrêmement préoccupant ». L’édile met en cause les deux extrêmes de l’échiquier politique, qui utilisent leurs « boucs émissaires » respectifs (« les riches pour les uns, les immigrés pour les autres »), pour faire monter la tension dans la société.
Face à cela, le maire de Meaux a pointé une « faiblesse considérable » du pouvoir en place. Pour lui, le pouvoir anesthésie isole ceux qui l’exercent, les plongeant dans une sorte de « power blues ». L’autre sujet est qu’il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Mais contrairement à ce que certains ont avancé, pour Jean-François Copé, la Constitution de la Ve République est la « meilleure que nous n’ayons jamais eue ». Elle permet d’avoir un « exécutif solide », tout en « respectant les grands principes de la République et de la démocratie ». Ce qui compte avant tout, pour le maire de Meaux, c’est l’efficacité. Or, la Constitution, est, selon lui, « la manière de rendre efficace l'action publique dans un Etat de droit ».
La crise du métier de politique
La crise « profonde » du métier de politique est une autre raison qu’a avancé l’ancien ministre du Budget, dénonçant une « absence de culture historique et d’expérience ». Ces lacunes ont empêché les responsables publics de partager un « certain nombre de réalités » avec les Français, notamment sur les retraites. « Nous possédons le système de protection sociale le plus généreux du monde. Nous avons un système de retraite qui a les taux de garantie les plus élevés du monde et notre système d’assurance chômage est lui aussi généreux.
Au lieu de solenniser ce propos, on a parlé d’une réforme de justice, ou encore d’une réforme socialiste. Mais ce n’est pas le cas », a assuré Jean-François Copé. Pour lui, cette réforme est « nécessaire pour rester dans la logique de préservation d’un système généreux ». C’est-à-dire qu’à partir du moment où l’on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps. « Le principe de la retraite par répartition, c’est objectivement la nécessité de cotiser plus longtemps. Il fallait juste le dire, les gens sont tout sauf bêtes, ils l’ont parfaitement compris », a estimé le maire de Meaux.
L’Etat doit revenir à ses fondamentaux
Mais quelles solutions propose Jean-François Copé, face à ces constats ? Pour lui, il faut d’abord que l’Etat revienne à ses fondamentaux. « L’ordre et le progrès sont, de mon point de vue, les piliers de l’action politique. La sécurité, la justice, l’immigration, la diplomatie, la défense, l’éducation et la santé, c’est à l’État de le faire. Le progrès, qu’il soit économique, social, environnemental, numérique, ou scientifique, c'est aux Français, qu'ils soient citoyens, qu'ils soient consommateurs, qu'ils soient entrepreneurs, qu'ils soient salariés, de le faire. L’Etat doit se contenter de créer les conditions pour le favoriser », a développé l’élu. Jean-François Copé a indiqué vouloir, en la matière, revenir aux fondamentaux de l’après-guerre, qui ont été, selon lui, atténués à force de réformes successives.
Il faut, enfin, que le pouvoir constitue une « équipe de professionnels », notamment s’agissant des ministres, qui doivent pouvoir commander leur administration et ne pas se « contenter de donner leur nom à une loi ». Faute de quoi « l’administration fait comme elle peut, comme elle le sent ». A cet égard, Jean-François Copé a fustigé ce qu’il juge être un acharnement contre l’ENA, remplacée par l’INSP. Pour mettre en place les mesures qu’il appelle de ses voeux, l’élu a également insisté sur la nécessité de tenir compte de la gestion des comptes publics. Pour lui, il faut notamment mettre fin à la « distribution de chèques au journal de 20h ».
La question de l’énergie et de la réglementation
Intervenant ensuite, un industriel de la plasturgie a évoqué « les boulets aux pieds » que n’ont pas ses concurrents européens. Le dirigeant a insisté, d’abord, sur la question de l’énergie. « Que l'électricité soit chère n'est pas un problème si nous achetons tous en Europe l'électricité au même prix. Le problème aujourd'hui, c'est l'écart de prix entre l’électricité en France et dans les autres pays d'Europe, dont l’Allemagne », a-t-il expliqué, soulignant que ce problème avait paralysé de manière importante sa société cette année. « J'ai bloqué tous mes investissements parce que je n'ai aucune visibilité sur les prix de l’énergie pour cette année et pour l'année prochaine.
Il y a une distorsion concurrentielle qui s'est créée avec certains de mes concurrents européens », a ajouté le dirigeant. Et de poursuivre : « Néanmoins aujourd'hui, lorsque l'on veut commencer à penser 2024 pour les prix de l’énergie, on voit encore des distorsions concurrentielles, ou des écarts de prix au niveau de l'énergie électrique énormes, entre l'Allemagne et la France ».
Aussi, les dirigeants attendent qu’une harmonisation des prix soit mise en place au niveau européen. « Nous n’avons pas l'impression que le gouvernement actuel, ni EDF, ne réalisent, je dirais, l'impact négatif sur nos investissements, sur nos prospectives de cette inconnue majeure », a déploré le chef d’entreprise, qui a également évoqué le sujet de la stabilité réglementaire. « Nous avons besoin d’un cadre qui s’applique sur plusieurs années. Il faut également que la réglementation française soit identique à la réglementation européenne sur le plan industriel », a-t-ajouté, pointant les surtranspositions.
« Vous mettez le doigt sur une question très importante. Nous avions le nucléaire pendant des décennies, avec un avantage compétitif exceptionnel sur l’Allemagne en particulier. Mais la remontée de la pente ne se fait pas en cinq minutes, ce qui fait que nous sommes au pire moment, nous devons payer à la fois le démantèlement et le remantèlement des centrales », a expliqué Jean-François Copé, en concluant que, sur cette question comme sur d’autres, la solution était plus complexe à mettre en oeuvre qu’elle n’en avait l’air.