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L'État sous la pression de la société civile

Le 5e cycle des conférences du Conseil d'État intitulées « Où va l'État ? » porte sur l'avenir de l'État à la lumière des nouveaux défis auxquels il doit faire face, notamment sous l'influence, certains diront la pression, de la société civile.
L'État sous la pression de la société civile
Conseil d'État

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Si la définition de la société civile n'a jamais été chose facile, certains se sont essayés à la tâche. Le professeur de sciences politiques Jean-Louis Quermonne la décrit comme « l’ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques, culturelles, religieuses, qui se déploient dans une société donnée, en dehors du cadre et de l’intervention de l’État ». La société civile tend surtout à désigner, au-delà de l’ensemble des individus constituant la société (vision militaire), les organisations qui la structurent, et la rendent à même d’interagir avec les institutions étatiques par le biais des corps intermédiaires. Selon Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, les enjeux du sujet sont déterminants sur le plan historique comme politique.

De fait, les relations entre l’Etat et la société civile ont intéressé les penseurs depuis Platon et Aristote en passant par les philosophes des Lumières (Rousseau, Tocqueville, Hobbes, Locke…) jusqu’à nos sociologues contemporains (Haurioux, Rosanvallon). Depuis la Révolution française, l'État est regardé comme le seul corps représentant du peuple, et le seul garant de l’intérêt collectif face aux intérêts individuels. Si les corps intermédiaires étaient, quant à eux, considérés avec défiance, comme des obstacles entre la population et ses élus (loi Le Chapelier de prohibition des corporations de 1791), la tendance s’est renversée depuis. La montée en puissance de la société civile et des organisations qui la représentent (associations, syndicats et ONG), qui est fréquemment relevée, représente-t-elle un symptôme de la défaillance de l’État ? Constitue-t-elle une menace pour sa légitimité ou bien une avancée vers plus de démocratie ? Comment concilier le pluralisme reflétant la diversité de la société civile avec la vision d’un État garant de l’intérêt général ? Ces questions actuelles sont inévitables si l'on s'attache à la réforme de l'État et à la politique.

Un processus de changement très rapide

La dimension historique de la complexité du rapport entre l'État et la société civile a été passée en revue très adroitement par le sociologue Jean Viard, directeur de recherche Cnrs au Centre d’études de la vie politique française (Cevipof). Selon lui, jamais la société n'a changé aussi vite. Aujourd'hui, nous vivons dans une « société du bonheur privé et du malheur public », dans un processus de changement vers une société beaucoup plus horizontale, un monde d'extraordinaire mobilité, face à un pouvoir politique trop vertical. Une génération a été ajoutée à nos familles depuis la Seconde Guerre mondiale ce qui bouleverse toute la société. On est ainsi sorti du modèle familial structuré (discontinuité du lien privé, moins de mariages, plus de divorces, familles monoparentales et recomposées...).

Paradoxalement, plus la vie est longue, plus on la vit en séquences courtes. Par ailleurs, le travail a complètement changé de position et le temps libre a pris une importance considérable. Pourtant, « si le travail est devenu secondaire quantitativement, il est devenu véritablement central dans la participation à la vie sociale » selon Laurence Parisot, vice-présidente de l’Ifop et présidente d’honneur du Medef. Elle ajoute que la société est fragmentée : « le philosophe John Dewey disait que, dans la société, il y a autant de publics que d'enjeux. C'est peut être là la grande difficulté de la relation société/État car il est seul contre tous et contre une société mouvante composée de différents publics ». Enfin, avec la révolution du numérique l’information est plus dense et circule plus facilement (internet, réseaux sociaux), d’où une société collaborative et l’avènement d’instruments universels dénués d’intervention étatique (wikipedia, bitcoin).

L’État doit s’adapter

Du coup, le champ politique n'arrive pas à reconstruire en incluant les questions centrales de la vie des citoyens. La représentation de la société civile ne fonctionne plus avec ses institutions et l'État doit donc s'adapter. Pour Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel, « la politique ne tient pas compte des mouvements sociaux qui émergent ». Comment prendre en compte les aspirations des citoyens tout en protégeant l’intérêt général ? « Informer ne suffit pas, il faut se concerter et tenir compte de ce que dit la société civile », ce qui suppose de nouveaux modes de concertation, comme les conférences de consensus (issues du monde médical et transposées dans les questions sociales telles que la récidive). L'intérêt de ces méthodes n'étant pas d'élaborer des solutions, mais de mettre à disposition d'un public très large l'ensemble des éléments du débat.

Enfin, les intervenants se sont tous interrogés sur le titre de la conférence qui traduit assez bien la réticence de la culture administrative française à l'égard des processus politiques participatifs. Il en ressort que la France est toujours un peu dans la continuité de la culture qui voulait que l'État seul définisse l'intérêt général et le bien commun. Même s’il arrive parfois que la société civile oblige l'État à modifier son fonctionnement (démocratie sanitaire née dans les années Sida grâce aux revendications des populations à risque, loi sur le droit au logement opposable « DALO » issue de l'installation des SDF sur le canal Saint-Martin…), et que le droit a intégré la dimension participative dans les processus législatifs, il n’en demeure pas moins que l’opinion publique ne s’estime ni écoutée ni prise en compte par les politiques publiques.

Anne Moreaux

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