La prise de poste d'une fonction exécutive et le statut du cadre dirigeant soulèvent un certain nombre de questions auxquelles la Commission employabilité du Cercle Montesquieu a souhaité répondre grâce à un atelier carrière, organisé dans les locaux du cabinet Jeantet. Réunissant une quarantaine de directeurs juridiques, l'atelier s'est déroulé autour d'un programme pédagogique visant à défricher le vrai du faux sur le statut de cadre dirigeant.
La conférence était animée par Marie Hombrouck, directrice associée Atorus Executive, spécialisée en recrutement et management de transition, en particulier des fonctions juridiques, et Patrick Thiébart, avocat associé au cabinet Jeantet, spécialisé en droit social. La discussion s'est orientée vers deux axes de réflexion, à savoir le statut de cadre dirigeant, selon la jurisprudence actuelle, et l'employabilité du cadre dirigeant, selon le point de vue du recruteur ou du recruté. Au-delà des réflexions exposées, l'enjeu de l'atelier était de fournir les outils nécessaires à la réussite d'une prise de fonction exécutive, de la démarche de recrutement jusqu'à l'échéance de la période d'essai.
« Le cadre dirigeant… dirige ! »
Sous cet intitulé, se cache la réflexion doctrinale de Patrick Thiébart sur la méconnaissance du statut légal du cadre dirigeant. Avant toute chose, l'avocat revient à la définition fournie par le code du travail, en son article L.3111-2, énonçant les trois critères d'appréciation du statut de cadre dirigeant. En premier lieu, le cadre dirigeant ne peut être soumis à aucune durée maximale de travail, devant pouvoir jouir d'une « large indépendance dans l'organisation du temps de travail ». Toute organisation horaire doit donc être le fruit de sa volonté et non de celle de son employeur. Autre critère, la rémunération, devant se situer « dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ». Corrélée au niveau de responsabilité, la rémunération s'apprécie cependant au sens large, prenant en compte l'ensemble des rémunérations perçues par le cadre, quelle qu'en soit la forme (avantages en nature, stock-options, retraite chapeau, primes diverses…).
Dernier critère légal, l'autonomie dans la prise de décision, justifiant un pouvoir d'initiative et de décision au nom de la société et à l'égard des tiers. Le cadre dirigeant doit pouvoir jouir de manière formelle ou tacite d'une délégation de pouvoir permettant d'engager la société. « Mais il n'en reste pas moins un salarié », nuance Patrick Thiébart. Ce caractère hybride du cadre dirigeant implique qu'il est tout à fait possible d'assigner des objectifs chiffrés au cadre, sans pour autant pouvoir lui imposer des directives régulières. À mi-chemin entre exécution et direction, cette autonomie relative reste difficile à caractériser au sein d'un contrat de travail. Peu importe les termes du contrat, Patrick Thiébart précise qu'en cas de litige, « seules comptent les conditions réelles d'emploi des cadres dirigeants ». Afin de caractériser ce statut, les juges déterminent donc un faisceau d'indices prenant en compte les pratiques réelles du cadre au sein de l'entreprise, et non les modalités définies au sein d'un contrat de travail. Bien que certaines nuances puissent s'appliquer, l'avocat exhorte recruteur ou recruté à ne pas se focaliser sur « la vision très manichéenne du contrat de travail, car il faut toujours aller sur du fait », autrement dit, de faire correspondre le statut formel et les conditions réelles d'emploi, car ces dernières prévaudront toujours devant les juges.
Dans les faits, l'autonomie de la prise de décision amène à s'interroger sur un critère « tacite », celui de participer effectivement à la direction de l'entreprise. Absent de l'article L.3111-2, ce critère fait référence à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, posée dans un arrêt du 31 janvier 2012 (n° 10-24412), et reprise dans un arrêt du 25 novembre 2015 (n° 14-10529), soulignant qu'il appartient au juge « d'examiner la fonction réellement occupée par le salarié au regard de chacun des trois critères afin de vérifier si le salarié participe bien à la direction de l'entreprise ». En résumé, la participation effective à la direction de l'entreprise semble être la qualité essentielle du cadre dirigeant, « le dénominateur commun des trois critères » selon la formule de Patrick Thiébart, bien qu'elle ne puisse se substituer à ces critères légaux.
Il serait cependant difficile d'établir ici un portait doctrinal aussi complet que celui de Patrick Thiébart. Certaines précisions méritent cependant d'être mises en lumière. La question du cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social soulève généralement certaines interrogations au sein des cadres dirigeants, pour la plupart « cumulards ». Afin d'éviter les risques de confusion entre les fonctions, l'avocat prône une distinction stricte entre le contrat de travail et le mandat social, déjà formellement, mais surtout en matière de rémunérations devant être distinctes. Dans le cas d'un cumul dans deux sociétés du même groupe, l'intervenant appelle la société mère à regrouper les cadres « cumulards » au sein d'une société de gestion de personnel (SGP) avec laquelle ils ont signé un contrat de travail dont l'objet exclusif est le mandat social dans une ou plusieurs sociétés du groupe. Grâce au recours à une SPG, la gestion de la population des cadres dirigeants s'en trouve facilitée, réduisant les risques de confusion entre contrats.
Le dernier point de tension abordé est celui de la modification du contrat de travail, notamment en matière de positionnement hiérarchique. Patrick Thiébart explique clairement l'absence de corrélation entre l'appréciation du statut de cadre dirigeant et sa proximité avec la direction de l'entreprise qui l'emploie. Le cas courant de création d'un échelon hiérarchique intermédiaire entre le cadre et son supérieur n'induit pas une rétrogradation ou un déclassement du cadre. S'il n'est pas porté atteinte à sa rémunération, à sa qualification et à ses fonctions, la modification managériale s'impose à lui (cf. Cass. soc. 11 avril 2012, n° 10-12068). Il en va de même dans le cas d'une rétrogradation du cadre à un échelon plus éloigné de la direction. En effet, selon la Cour de cassation (Cass. Soc. 26 oct 2011, n° 10-13866), le fait de ne plus appartenir au premier cercle entourant le chef d'entreprise ne suffit pas à justifier la perte du statut de cadre dirigeant. Encore une fois, les juges se focaliseront uniquement sur les conditions réelles d'emploi (attributions, qualification, rémunération) afin d'apprécier la dégradation concrète de la situation du cadre dirigeant.
La pierre angulaire de l'exposé présenté demeure donc l'appréciation complète du cadre dirigeant de ses conditions réelles d'emploi, et non de son contrat de travail uniquement. Au-delà du caractère doctrinal du propos, l'avocat cherche avant tout à clarifier le statut de cadre dirigeant aux intéressés eux-mêmes, les appelant à « avoir conscience de l'étendue de [leurs] prérogatives ». Trop souvent obnubilés par leur statut formel, les cadres dirigeants doivent en réalité redoubler d'attention vis-à-vis de leur situation concrète au sein de la société, afin de saisir l'essence légale de leur statut particulier.
La nécessité d'une « approche globale »
Le second volet de l'atelier apporte une vision plus pragmatique de la fonction du directeur juridique, se focalisant sur son employabilité, de son recrutement à ses premiers mois dans l'entreprise. L'expertise de Marie Hombrouck vient éclairer plusieurs aspects en la matière, notamment sur les modalités de négociation avant la prise de fonction.
« Sachez qu'une prise de poste réussie doit s'anticiper et se préparer », a-t-elle martelé tout au long de l'atelier. La conciliation entre les objectifs de l'entreprise et la nécessaire marge de manœuvre voulue par le nouveau cadre soulève généralement certaines difficultés entre recruteur et recruté, ou tout du moins certaines inconnues. Marie Hombruck appelle donc les candidats à un poste exécutif à « balayer » de manière exhaustive l'ensemble de ces inconnues afin d'assurer une compréhension réciproque entre les deux parties, et ce, avant même la prise de fonction. Cette compréhension
préalable demeure vitale, car une personne « toxique » bien établie au sein de la direction reste très difficile à licencier. Parmi les inconnues évoquées se trouve logiquement la fonction et la rémunération, mais Marie Hombrouck prône une approche plus globale, quitte à allonger la phase de recrutement, en abordant par exemple le rattachement aux différents cercles de direction (CE, COMEX) ou aux différentes personnalités de la société (président, DAF…), les avantages complémentaires à la rémunération, la stratégie au court, moyen et long termes de l'entreprise… En bref, tout l'enjeu réside, aussi bien pour le recruteur que le recruté, dans l'anticipation précoce de l'ensemble des difficultés que le poste induit.
Une fois ces difficultés abordées, s'engage la phase de la négociation, souvent perçue comme délétère dans la réussite d'une candidature, en particulier en matière de rémunération. Marie Hombrouck le dit très clairement : « ne vous bradez pas ». Encore une fois, l'anticipation reste la clé d'une négociation réussie, car chaque élément anticipé peut s'avérer devenir le centre de gravité de la négociation. Si la rémunération pose effectivement problème, par exemple, varier indéfiniment le montant ou le passer sous silence, n'y changera rien. À l'inverse, négocier plusieurs points en même temps, savoir lâcher certains avantages pour les compenser par d'autres, autrement dit, avoir « une approche globale » de la rémunération, permet d'obtenir un consensus entre les parties. Le credo d'une négociation réussie, selon Marie Hombrouck, est d'avoir « une approche gagnant-gagnant », autrement dit, de sortir du rapport de force afin de concevoir globalement les attentes réciproques.
Ne reste plus que la prise de fonction. Selon Marie Hombrouck, la durée moyenne d'atteinte du seuil de rentabilité d'un cadre se situe dans les six mois. Durant cette période, le nouveau cadre doit tout d'abord observer attentivement l'équipe avec laquelle il travaille, « adopter les codes », selon la formule de Marie Hombrouck. Pour ce faire, le nouvel arrivant ne doit pas se couper de ses collaborateurs et, au contraire, essayer de passer un maximum de temps avec eux dès la prise de fonction. Cette phase d'écoute permet de rapidement identifier les personnes essentielles à la nouvelle direction, et de les distinguer des personnes « toxiques ». Encore une fois, plus rapidement seront éliminés les éléments « toxiques », meilleures seront les conditions d'entrée en fonctions. En effet, le nouveau cadre dirigeant jouit initialement d'une certaine légitimité en matière de réorganisation, légitimité qui aura tendance à s'atténuer avec le temps. Une fois ces ajustements réalisés, alors peut se mettre en place la stratégie préconisée par le cadre, autour d'une équipe cohérente et efficiente, d'où la nécessité de s'assurer de la fiabilité de ses collaborateurs avant même la mise en place de ladite stratégie.
Dense, l'atelier du Cercle Montesquieu l'aura été, tant le statut de cadre dirigeant soulève des situations variées. Néanmoins, l'apport en matières doctrinale et professionnelle permet de défricher certains champs de réflexion. Parmi eux, il sera aisé de retenir le caractère factuel de ce statut. À la différence des autres salariés « exécutants », enfermés dans leurs prérogatives contractuelles, la situation du cadre dirigeant se crée et s'apprécie dans la pratique. À lui donc de modeler en permanence son statut au sein de la société, dès la phase de recrutement, par le biais d'une communication franche, aussi bien entre le haut et le bas de la hiérarchie, et d'une pleine conscience du caractère « autonome » de ses prérogatives.