AccueilDroit & chiffreLe droit collaboratif peut-il s'appliquer à tout type de conflit ?

Le droit collaboratif peut-il s'appliquer à tout type de conflit ?

Salle comble pour le 4e colloque annuel de l'association française des praticiens du droit collaboratif (AFPDC) intitulé « une autre éthique de la sortie du conflit » qui a montré que le processus collaboratif n'est plus réservé au droit de la famille mais peut s'appliquer à tout type de différend, notamment commercial.
Le droit collaboratif peut-il s'appliquer à tout type de conflit ?

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Véritable succès pour le processus collaboratif. Après une introduction du bâtonnier Pierre-Olivier Sur invitant tous les avocats à se mettre à ce nouveau mode de résolution des différends, Charlotte Butruille Cardew, présidente de l’AFPDC, a ouvert ce colloque annuel en annonçant fièrement la croissance de l’association qui multiplie les partenariats et « offre une nouvelle manière d’envisager la profession, la coopération avec le monde judiciaire, et aussi peut-être une nouvelle éthique ».

L'essor du droit collaboratif

La pratique du droit collaboratif se développe en France. Si bien que, cette année, le processus est même devenu un enseignement obligatoire à l'Ecole de formation du barreau de Paris (EFB). Ainsi, chaque année, c’est 1900 étudiants qui sont formés aux techniques du droit collaboratif. Défini comme « la forme la plus achevée de recherche d’une solution amiable d’un conflit » par le rapport Delmas-Goyon, remis en décembre 2013 à la garde des Sceaux dans le cadre de la réflexion sur la Justice du XXIe siècle, le droit collaboratif se fraye un chemin dans la foule des modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Il est d’ailleurs enseigné au sein de l’EIMA (Ecole internationale des modes alternatifs de règlement des litiges) qui prend le relai de l’école de la médiation du barreau de Paris, et forme à toute la palette des MARD possibles.

Catherine Bourguès-Habif et Nathalie Ganier-Raymond, vice-présidente et trésorière de l’AFPDC, toutes deux formatrices au processus collaboratif, ont précisé que 25 sessions de formation se sont tenues en 2014 avec plus de 300 participants. Cette année, en seulement six mois, se sont déroulées 18 formations avec 432 participants. L’AFPDC organise des cessions de formation « pas que parisiennes mais partout en France », même jusqu'à Nouméa !

Pour répondre à une demande exponentielle, l'association est passée de 7 à 20 formateurs, qui qualifient ce travail d’extrêmement chronophage mais très enrichissant. La vice-présidente de l’association a recensé auprès des adhérents 105 dossiers faits en 2014, 70 dossiers en cours en 2015 et 14 dossiers clos en 2015. « Ce n’est pas que de la parlotte, le droit collaboratif fonctionne vraiment et il y des vrais dossiers » s’exclame-t-elle pour convaincre les septiques.

A ceux qui ne sont toujours pas convaincus, le droit collaboratif est un « outil donné aux avocats pour devenir de véritable spécialistes de la négociation » rappelle Charlotte Butruille Cardew. L’avocat devient le garant du cadre de transparence des échanges, grâce à des techniques d’écoute active et de négociation raisonnée permettant d’appréhender le rôle de chacun dans le dialogue et les dynamiques psychologiques en jeu dans le conflit.

L'universitaire Soraya Amrani Mekki explique que, comme tous les modes amiables, le droit collaboratif offre une multitude de possibilités qui change l'image de la pratique judiciaire, l'office du juge et des auxiliaires de justice. Ils s'inscrivent dans une politique de gestion de la pénurie du service public de la Justice. De fait, « le rôle du juge est différé et différent » puisqu’il se contente d’homologuer l’accord obtenu par les parties et leurs avocats. En outre, c'est une image extrêmement forte pour l'entreprise, une très bonne publicité. Les trois attraits principaux du droit collaboratif pour la professeure sont la compétence, la cohérence et la souplesse.

Le processus collaboratif, né en matière familiale comme la plupart des modes amiables, répond à une nécessité et un besoin de multiples autres branches du droit, notamment en droit social ou droit des affaires. Et ce dernier domaine est particulièrement parlant.

Pourquoi le processus collaboratif est-il efficace en droit des affaires ?

Juliette Griset et Isabelle Chabot sont les deux premiers avocats à avoir géré un dossier de droit collaboratif dans le domaine des affaires. Elles ont partagé leur expérience toute fraîche lors d’un atelier. Maître Griset est spécialisée en contentieux des PME, tandis que maître Chabot accompagne les entreprises et leurs acteurs en droit des sociétés et des affaires autant sur du conseil qu’en contentieux. Cette dernière ne souhaite pas « exercer le droit pour exercer le pouvoir mais pour faire avancer les gens », c’est pourquoi elle s’est lancée corps et âme dans le droit collaboratif, et avec succès ! Idem pour Juliette Griset qui préfère « défendre les intérêts de son client et pas ses positions ».

Pour convaincre leur client respectif de se lancer dans un processus de droit collaboratif, elles ont avancé ses principaux avantages : rapidité, confidentialité et surtout garantie de la pérennité des relations. Ce dernier point est essentiel surtout en matière commerciale.

« C’est une éthique partagée qui permettrait aux parties de trouver des solutions mutuellement satisfaisantes, créatrices de valeur, pérennes, préservant le partenariat et les relations d’affaires. Bref, l’avenir des personnes morales et de leurs acteurs dans un monde d’ultra communication où les parties sont amenées à se recroiser, voire à retravailler ensemble. » selon l’avocate Anne-Carine Ropars-Furet.

Le processus collaboratif s’adapte très bien au droit des affaires parce qu’en la matière la procédure est très longue (environs 18 mois au TC de Paris), les juges consulaires ne sont pas des juristes et les experts sont parfois incompétents, selon elles.

En optant pour le processus collaboratif, leurs clients se sont assurés de régler leur différend en seulement trois mois, sans aucun risque d’erreur judiciaire et avec souplesse et sécurité. « Le droit collaboratif c’est comme dans Peau d’Ane, vous pouvez vous faire une robe couleur de lune si ça vous chante ! » plaisante Isabelle Chabot.

Ainsi, avec l’aide précieuse de leur avocat, les deux clients, associés dans une entreprise de conseil, ont pu parvenir à un accord de séparation, de partage de clientèle, et de reprise sans devoir liquider leur entreprise. Ils ont fait du sur mesure dans un contrat rédigé par un des avocats et signé par chaque partie et son conseil, qui s’engageait à le perdre en cas d’échec des négociations, ce qui est très important pour bâtir confiance et respect. A la fin du processus, une transaction a été signée et validée par un juge ce qui lui apporte une véritable sécurité.

Un avocat présent à l’atelier s’interroge : quel est le véritable avantage ? Ce dernier a l’impression de faire déjà ça en négociation classique avec des clients sérieux. D’autres se demandent si cela ne pose pas un problème de confidentialité et d’échange de preuves en cas d’échec, ou encore si certains clients de mauvaise foi ne se servent pas du processus comme d’une manœuvre dilatoire pour repousser le délai de prescription. Qu’en est-il des honoraires ? Enfin, une avocate se demande si le processus est envisageable pour des litiges commerciaux entre de nombreuses parties.

Les avocates ont expliqué clairement que le processus est destiné aux clients de bonne foi et transparents, à l’avocat de connaître son client et de savoir s’il peut lui proposer ce type de règlement amiable. En l’espèce, le processus a permis de désamorcer un conflit émotionnel très particulier, là où la négociation de positions avait échoué.

Pour éviter les « abus de confidentialité » et la reprise de preuves devant les juridictions commerciales en cas d’échec des négociations, les avocates ont décidé de ne faire circuler aucuns documents, ces derniers étant simplement montrés en réunion.

Elles ont, par ailleurs, accepté la demande formulée par un des clients que chacune reçoivent la même gratification, et ont donc mis en place le même honoraire au forfait, pour plus d’égalité.

Il est, en outre, tout à fait possible d’engager un processus dans un litige commercial comptant plusieurs parties, du moment que chacune d’entre elle est représentée par un avocat formé au droit collaboratif.

Enfin, en plus d’être un atout de communication pour les entreprises, le processus collaboratif est pratique pour développer le commerce international, car il permet d'éviter le droit étranger et le juge qui ne sont pas toujours véritablement impartiaux.

Toutefois, si cet exposé à deux voies fut remarquable et convainquant, le premier avocat septique l’ayant avoué, certaines problématiques demeurent. Qu’en est-il des litiges commerciaux engageant une personne morale ? Qui est qualifié pour négocier en son nom ? Qui signe la transaction engageant la société ? Quelle confidentialité de la transaction ? Que faire une foi que toutes les cartes sont sur la table et que l’on se montre vulnérable ? Comment éviter les risques de manoeuvres dilatoires courants en affaires ? Comment instaurer de la transparence avec des entreprises qui ne sont pas éthiques elles-mêmes ? Le dialogue et l’accord gagnant-gagnant est-il possible entre un fort et un faible ? Quel report du délai de prescription en cas d’échec ?

Seule la pratique pourra apporter des réponses. A tous les avocats affairistes qui souhaitent « sortir de la place de mandatairepour celle de partie prenante de la solution » et élargir le champ des possibles, un boulevard s’offre à vous !

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