Les legalstart-up, sujets de la deuxième table ronde, concentrent la plupart des problématiques de la profession d’avocat. Pour l’occasion, PhilippeWagner, fondateur de Captain Contrat est venu défendre son gagne-pain face à des avocats, parfois sceptiques devant cette nouvelle pratique du droit. « Le principe est simple, nous mettons en relation, des clients avec des avocats capables de leur fournir des prestations juridiques simples », explique PhilippeWagner. « Il s’agit de simplifier les contraintes pour les entrepreneurs, et aux avocats de trouver des clients. » Le jeune homme assure que plusieurs dizaines d’avocats postulent, chaque semaine, sur sa « place de marché ».
L’argent, c’est le nerf de la guerre et Captain Contrat comme d’autres sociétés du genre cassent, les prix. Comment est-ce possible ? « Avant de choisir sur le site son avocat, le client rentre certaines données en rapport avec sa demande, en fait, il réalise une bonne partie du travail de l’avocat. » Ce principe a un nom, « Do it with me » (faites-le avec moi). D’après Philippe Wagner, ce système permet à l’avocat de se consacrer pleinement à sa valeur ajoutée, le conseil. Captain Contrat est rémunéré des deux côtés, le client paye pour utiliser les services du site et l’avocat se voit facturer des frais de prestations technologiques.
Au micro, Christophe Thevenet, avocat, s’exprime sous le regard de Philippe Wagner, fondateur de la legal start-up Captain Contrat.
Mais la collecte des données chiffonne Christophe Thevenet, secrétaire général de la commission de déontologie de l’Ordre. « Même si les renseignements fournis paraissent anodins, il s’agit tout de même d’une petite entorse au secret professionnel, puisque c’est un intermédiaire qui collecte et fournit ces données à l’avocat. » Christophe Thevenet évoque une zone grise du droit exploitée par de « petits malins. Certains font du très bon travail, ils ont une véritable réflexion mais d’autres en profite pour faire n’importe quoi. » L’avocat évoque notamment la société « demandez justice » où des étudiants en droit répondent à la chaîne aux personnes désireuses de conseils juridiques. « Il y a des actions en cours, j’espère qu’elles aboutiront à la fermeture de ces sites qui sont en dehors des clous. » D’après Christophe Thevenet, « dans cette zone grise, la frontière entre l’exercice légal et illégal du droit est floue, chaque site doit être observé au cas par cas ».
Si l’avocat est en colère contre « les petits malins », il désire aussi secouer ses confrères, coupables selon lui d’un manque de réactivité. « Ces jeunes gens (les créateurs de start-up) ont encore quelques années pour prospérer dans ce secteur. » Il déplore le fait que trop peu d’avocats aient décidé de lancer leur propre plate-forme. « Vous en avez le droit, votre site, c’est votre cabinet. » Christophe Thevenet évoque les règles séculaires de la profession auxquelles il est attaché, notamment celle de la confidentialité. « Mais nous courrons sans cesse après l’évolution », regrette-t-il. « Nos institutions n’ont pas fait le boulot, pourtant elles devraient en être un des moteurs. » Le barreau de Paris lancera d’ici à une semaine sa propre plate-forme sur le modèle des start-up, ACA (Action collective d’avocat). Les avocats du barreau pourront y proposer leur service en ligne. Mais Christophe Thevenet tient à rassurer nos jeunes loups des legal start-up. « Vous avez encore des beaux jours devant vous. »
Mutations et nouvelles attentes des directions juridiques
De gauche à doite, Maîtres Fabrice Epstein, Benjamin Chouai, Adrien Perrot, organisateur, Maître Kami Haeri et Béatrice Œuvrard, juriste senior chez Microsoft France.
Béatrice Œuvrard est juriste senior à la direction juridique de Microsoft France. Surprenant pour une multinationale, la direction est composée de cinq juristes pour un total de 1 600 salariés. « Nous sommes dans une logique de baisse des coûts, cela influe sur notre relation avec les cabinets d’avocats avec lesquels nous travaillons. » Elle souhaite, en finir avec « les mémos de 20 pages qui retracent toute la jurisprudence ». « Nous attendons des avocats plus de pragmatisme et de concision. J’ai 700 mails de retard aujourd’hui, le temps nous manque. » La jusriste est consciente du travail difficile de concision pour un avocat. Quant au statut d’avocat en entreprise, dont le barreau ne voulait pas entendre parler, Béatrice Œuvrard a tenu à rassurer les avocats. « Si nous réclamons ce statut, ce n’est en aucun cas pour venir exercer à votre place. Une des principales raisons, c’est la mobilité. » Grâce à ce statut, elle serait en mesure de travailler plus facilement à l’international.
Quelles évolutions pour les modèles à l’étranger ?
De gauche à droite, Terry Mascherin et Robert Glaves, du barreau de Chicago, Karin Galldin, Canadian Bar Association, Patrick Henry du barreau de Liège, en Belgique et Maître Stéphanie Smatt, animatrice de la conférence annuelle de l'incubateur du barreau de Paris.
Aux États-Unis, les honoraires d’avocats sont très élevés, et même lorsqu’une personne travaille et gagne correctement sa vie, elle hésite souvent à s’engager dans un processus judiciaire qui pourrait lui coûter plusieurs dizaines de milliers de dollars. La Chicago Fondation a « envisagé ce problème comme une opportunité. » La Chicago Bar Fondation a innové en proposant une structure où les jeunes diplômés en quête d’expérience peuvent apporter leur aide aux personnes dont les moyens ne leur permettent pas de passer par un cabinet classique. Il s’agit d’un incubateur où la fondation intègre les avocats débutants dans le cadre d’un programme durant lequel ils apprennent à gérer un cabinet. Ils doivent aussi travailler en pro bono. Aux États-Unis, les legal start-up remportent un succès phénoménal, dans un pays ou l’aide juridictionnelle est beaucoup moins développée qu’en France. D’ailleurs, les avocats américains comprennent le phénomène : « Ils proposent des services simples avec des prix bas fixes et leurs sites internet sont bien mieux faits que n’importe quel site de cabinet d’avocats. » Robert Glaves encourage les cabinets classiques à se lancer dans l’aventure mais les obstacles sont nombreux. En premier lieu, le nombre de textes de loi. « Il y a 50 États et changer les lois dans chacun d’entre eux va prendre un temps considérable. Une activité comme celle-ci peut être légale dans votre État et illégal chez votre voisin. » En tout cas, au pays de l’innovation, on y perçoit une opportunité plutôt qu’une menace.