Le 10 mai dernier, le chef du gouvernement Manuel Valls a recouru au 49-3 afin que le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, dite « loi Travail » ou encore « loi El Khomri » du nom de la ministre qui la porte, puisse être adopté sans vote. Par cette utilisation très controversée, le Premier ministre souhaite éviter de « revenir sur l'ambition et la cohérence du projet de loi » censé relancer les embauches, et abaisser le taux de chômage.
Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'Ecole de droit de Paris I – Sorbonne, avait donc raison. Il préméditait déjà ce recours, il y a plus d'un mois, et ironisait à ce propos en animant les débats organisés par le Club des juristes, dont il est membre.
De nombreuses questions relatives au projet de loi Travail ont été abordées : quelle articulation des sources prévoit le nouveau code ? Que vont devenir les « 61 principes essentiels du droit du travail » définis par la commission Badinter ? Vers la fin de « l'ordre public social » ? Et les « 35H » ? Quid de la pertinence des syndicats et des branches ? Quelles nouveautés sur le licenciement économique ? Loi punitive pour les TPE / PME ?
Pour l'occasion, le club avait réuni un panel d'intervenants composé d'Emmanuelle Barbara, avocate associée du cabinet August & Debouzy, spécialiste droit du travail et de la protection sociale, Agnès Benassy-Quéré, professeur d'économie à Paris I et présidente-déléguée du Conseil d'analyse économique, et surtout de Claire Scotton, adjointe au sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail du ministère du Travail et de l'Emploi.
Cette dernière a expliqué et détaillé les objectifs de la réforme et tenté de répondre aux nombreuses questions posées par l'assistance. Pour l'énarque, le projet cherche à encadrer les relations de travail et à renforcer la légitimité des accords collectifs négociés.
C'est « le pari de la confiance et du collectif », pour Maître Barbara, qui soulève cependant le problème de légitimité des syndicats.
Jean-Emmanuel Ray dénonce le volume exagéré du projet de loi (305 amendements adoptés et 1010 en attente !), qui ne va pas simplifier le code du travail qui « sera plus clair, donnera davantage de marge de manœuvre, mais sera forcément plus gros ».
Pour lui, cette loi oppose ceux qui croient au dialogue social et ceux qui n'y croient pas. Elle n'est en rien en rupture avec notre droit actuel et est même la suite logique des lois Auroux de 1982 relatives aux libertés des travailleurs.
A la question « Comment se déroulera la rédaction du futur “code du Travail du XXIe siècle ?” » Claire Scotton répond qu'il convient d'abord de se demander pourquoi. « C'est précisément pour répondre aux mutations du monde du travail, à cet enjeu structurel du taux de chômage qui perdure à un niveau beaucoup trop élevé et parallèlement à des recrutements qui s'accélèrent en CDD au détriment des CDI. » C'est pour résoudre ces difficultés que le ministère du Travail a confié cette lourde tâche de refondation du droit du travail à « une commission d'experts et de praticiens qui permettra de réécrire le code en donnant plus de marge de manœuvre aux entreprises, pour mieux concilier la performance économique et la performance sociale ».
L'économiste Agnès Benassy-Quéré, a en effet expliqué qu'une telle réforme aura certainement un effet à long terme sur l'emploi, et éventuellement un effet positif sur les personnes en marge de l'emploi (femmes, jeunes, non-diplomés) car le droit du travail a un impact net sur les flux (embauches et licenciements).