Cette ancienne secrétaire générale de l’Inspection générale de la justice (2016-2019) s’exprime à quelques jours de la rentrée solennelle du tribunal, le 23 janvier. Dotée d’une vision transversale de l’institution judiciaire, elle défend une justice au service des citoyens.
Le Palais de justice de Melun est l’un des trois tribunaux judiciaires de Seine-et-Marne, avec ceux de Fontainebleau et de Meaux. Depuis septembre 2019, il est présidé par Marie-Bénédicte Maizy. Cette ancienne secrétaire générale de l’Inspection générale de la justice (2016-2019) s’exprime à quelques jours de la rentrée solennelle du tribunal, le 23 janvier. Dotée d’une vision transversale de l’institution judiciaire, elle défend une justice au service des citoyens.
Le Moniteur de Seine-et-Marne : Que retenez-vous de la dernière réforme de 2019 ?
Marie-Bénédicte Maizy : La gestion des ressources humaines a été revisitée, en regroupant le personnel judiciaire (fonctionnaires et contractuels), avec pour objectif une rationalisation des services communs. Tous les accueils des différents services ont ainsi été regroupés au service d’accueil unique du justiciable (Sauj).
Avez-vous dû déplorer une réduction de personnel ?
Non, l’arrondissement judiciaire de Melun n’a pas été confronté à une baisse de ses effectifs. Des réunions d’information ont été initiées pour préparer le personnel judiciaire au sens large à cette fusion du tribunal de grande instance, du tribunal d’instance et du greffe du conseil de prud’hommes. À l’instar des structures d’accès au droit du département, le tribunal a œuvré pour une professionnalisation des agents d’accueil du SAUJ, véritable porte d’entrée du tribunal.
Êtes-vous satisfaite des délais de jugement ?
Jusqu’en 2019, les délais étaient raisonnables, mais la crise sanitaire a impacté les modalités de fonctionnement des services. En matière pénale, les délais de traitement ont pu être réduits par la création d’audiences supplémentaires. En revanche, pour la partie civile, les délais de traitement sont plus importants, notamment pour les affaires familiales, huit à dix mois en moyenne pour un dossier hors divorce, les dossiers de construction, de responsabilité civile ou le pôle social. Pour ces contentieux, cela peut aller jusqu’à 20 mois.
Comment gérez-vous l’accès au droit ?
Le Conseil départemental d’accès au droit (CDAD) contribue activement à promouvoir une variété d’offres de service pour les usagers, en associant notamment les associations, les avocats, les notaires, de manière à rendre lisible et accessible une offre de services la plus diversifiée possible. Les domaines qui ne sont pas suffisamment satisfaits sont le droit des étrangers, le droit du travail et le surendettement. En ce qui concerne le droit des étrangers, les permanences spécialisées des avocats ne suffisent pas, en raison de demandes croissantes. Le CDAD a donc décidé de mettre en place des permanences spécialisées et complémentaires avec le centre d’information des droits des femmes et des familles (CIDFF). Une formation qualifiante en direction des greffiers et des agents d’accueil des Point-Justice a d’ailleurs été assurée par l’association la Cimade. Cette formation a permis de répondre aux attentes des usagers et de diversifier l’offre de services.
Comment luttez-vous contre la fracture numérique ?
Il s’agit d’une thématique chère au CDAD et ce constat est bien identifié dans les structures d’accès au droit. La digitalisation croissante des procédures peut devenir, à terme, un obstacle pour les populations fragilisées à faire valoir leurs droits. Depuis quelques mois, le Tribunal judiciaire de Melun a installé une borne tactile dans la salle des pas perdus. Celle-ci permet aux usagers, avec l’aide de deux volontaires en service civique, de consulter des sites internet utiles à leurs démarches dont celui du CDAD 77 (www.cdad-77.fr).
La cybercriminalité est-elle aussi un sujet d’inquiétude ?
Oui, cette nouvelle forme de délinquance nous oblige quotidiennement à la plus grande vigilance. À titre d’exemple, la cyberattaque dont a été victime le Conseil départemental en novembre dernier a eu des conséquences directes sur certains services de la juridiction. Ce sujet, en lien avec le contexte géopolitique international, pourrait être porté cette année par le CDAD, dans le cadre de ses actions en direction des jeunes, par exemple.
Les violences conjugales constituent-elles une autre priorité ?
Cette priorité nationale a été tout naturellement déclinée localement au sein de notre juridiction. Le procureur de la République conduit une politique de poursuite systématique des procédures de violences conjugales. Les magistrats du siège et du parquet travaillent de concert avec le Barreau pour apporter une réponse rapide et efficace à cette délinquance, en mettant en place les dispositifs existants tel que le téléphone grand danger (TGD), le bracelet anti-rapprochement (BAR) ou bien l’ordonnance de protection rendue dans les six jours, par un juge des affaires familiales à compter de sa saisine. Une cellule de lutte contre les violences intra-familiales, coordonnée par le procureur, existe depuis fin 2020. Elle réunit l’ensemble des services du siège et du parquet concernés pour partager les informations relatives à des situations connues et suivies.
En matière de modes alternatifs de règlement des différends, l’amiable est appelé à se développer. Où en êtes-vous ?
Ces modes alternatifs de règlement des différends (Mard) se développent depuis 2016. Ils permettent aux usagers de s’approprier leur litige et de trouver une solution pour éviter à un juge de trancher. La conciliation est le premier mode alternatif, suivi de la médiation conventionnelle, judiciaire et familiale, et aussi la procédure participative avec un avocat. Le recours à une conciliation avant tout procès est même devenu obligatoire depuis 2020 pour tous les litiges inférieurs à 50 000 euros. Comme pour la conciliation, il existe des permanences assurées par des médiateurs au sein des Points-Justice. La conciliation était très attachée aux anciens tribunaux d’instance. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les juges des contentieux et de la protection qui ont recours à la conciliation conventionnelle ou judiciaire. Malheureusement, le nombre de conciliateurs reste très insuffisant pour que ce dispositif puisse jouer pleinement son rôle. Le concours de la société civile apporte une réelle plus-value à ces Mard et nous sommes attentifs à toute candidature qui peut être adressée au tribunal sur l’adresse exclusivement réservée aux fonctions de conciliateur de justice (recrutement.tj-melun@justice.fr). Une documentation sur les fonctions est également disponible sur le site du ministère de la Justice (conciliateur de justice | service-public.fr).
Le mal-être des magistrats vous préoccupe-t-il ?
À Melun, les fonctionnaires et les magistrats bénéficient de conditions de travail satisfaisantes. En effet, les locaux sont à la fois fonctionnels et conviviaux. Pour autant, les chefs de juridiction et la directrice de greffe doivent rester très attentifs. Il existe des structures intermédiaires qui servent d’alerte comme les commissions restreintes, l’assemblée générale des magistrats ou des fonctionnaires et les assistants de prévention. Des professionnels de santé assistante sociale, médecin de prévention, psychologue peuvent aussi être à l’écoute des personnels. Notre intérêt est de pouvoir rendre une justice claire, lisible et juste, qui respecte les droits et les libertés de chacun. La justice, c’est d’abord de l’humain. Elle est rendue par des professionnels dont il faut prendre soin.
Qu’avez-vous pensé des conclusions des États généraux ?
Les États généraux ont confirmé qu’il y a une vraie crise de la justice et plus particulièrement de la justice civile, avec une désaffection des magistrats, mais aussi de nos autres partenaires comme les avocats. Ce qui attire tout le monde, c’est d’abord le pénal, ce qu’on voit à la télévision lors d’un procès d’assises. La justice civile a moins d’attrait, alors que c’est notre quotidien, plus de 60 % des décisions rendues dans un tribunal étant du contentieux civil. Il faut arriver à développer les modes alternatifs de règlement des différends et l’équipe autour du magistrat, afin de permettre à cette justice civile de retrouver du souffle, car elle est énergivore, chronophage et moins médiatisée.
Comment avez-vous accueilli les mesures annoncées récemment par le ministre de la Justice ?
On a eu, il faut le dire, une augmentation nette du budget. Après, cette augmentation doit être déclinée de manière opérationnelle et pratique dans les territoires et les juridictions. C’est ce que les gens attendent de nous. Ils doivent avoir confiance dans la justice dans son ensemble. Le plan d’actions présenté par le garde des Sceaux a cette ambition et le tribunal judiciaire de Melun s’y inscrira pleinement.
Que pensez-vous de la création de la cour criminelle départementale ?
Cette cour est une déclinaison de la cour d’assises pour des faits punissables de 20 ans de réclusion sans jury populaire, avec seulement des magistrats professionnels. L’idée serait de juger plus rapidement, mais dans les faits, on sait déjà que ce ne sera pas tout à fait cela. On va peut-être gagner une demi-journée par-ci, par-là, mais au prix d’une mobilisation de deux fois plus de magistrats assesseurs qu’à la cour d’assises. Le TJ de Melun partage avec les tribunaux de Meaux et Fontainebleau le poids de l’assessorat. Cela risque donc d’impacter notre activité juridictionnelle quotidienne, sauf à bénéficier de l’appui de magistrats honoraires et de magistrats, à titre temporaire. Le Premier président de la cour d’appel de Paris suit de près la mise en place de cette cour criminelle et les difficultés engendrées.
Quel bilan tirez-vous de l’année 2022 ?
L’après-crise sanitaire est positive. Tous les acteurs du monde judiciaire ont travaillé ensemble et harmonieusement pour que la continuité du service public de la justice soit assurée. En 2022, à travers le CDAD, nous avons lancé des initiatives transverses pour mettre en lumière des actions structurantes pour les citoyens (lutte contre la radicalisation en milieu scolaire, handicap et justice, accueil de jeunes du service national universel) par le canal de la Journée nationale de l’accès au droit (JNAD) ou bien la Nuit du droit en partenariat avec l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN).
Qu’espérez-vous pour 2023 ?
Poursuivre nos travaux et nos initiatives pour rendre la justice plus accessible, nous inscrire encore davantage dans la cité en lien avec nos partenaires institutionnels, afin de mieux faire connaître et comprendre notre mission et continuer l’action de moderniser nos méthodes et nos moyens de travail, pour mieux répondre aux besoins des personnels et des usagers. On souhaite aller toujours de l’avant, avec la même question en tête : comment être plus efficace pour nos concitoyens ?
Des magistrats temporaires recherchés
Depuis le 1er janvier, le Tribunal judiciaire de Melun est à la recherche de magistrats à titre temporaire (MTT). Nommés après validation du Conseil supérieur de la magistrature, ces professionnels de la justice prêtent serment et occupent leurs fonctions dans les mêmes conditions qu’un magistrat classique durant une période limitée à sept ans. Des avocats peuvent exercer cette activité parallèlement à leur activité.
Pour cela, ils doivent effectuer un certain nombre de vacations par an (une audience vaut trois vacations). Si leurs compétences juridictionnelles sont plus réduites que celles d’un magistrat professionnel, l’objectif est de participer à la vie de la juridiction avec, notamment, un apport non négligeable à la nouvelle cour criminelle départementale ou à la cour d’assises. Ces magistrats temporaires peuvent demander à rejoindre la magistrature par la voie de l’intégration ou par celle du concours complémentaire si des postes sont ouverts.