Le Moniteur de Seine-et-Marne : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Meaux ?
Marie Christine Wienhofer : La particularité de la Seine-et-Marne est d'avoir trois TGI : Meaux, Melun et Fontainebleau, contrairement à d'autres ressorts judiciaires qui, depuis l'origine, sont départementalisés avec un seul TGI.
La grandeur du département explique cette organisation. Même si on ne se déplace plus à cheval, les justiciables auraient des difficultés à se rendre dans un seul tribunal, compte tenu du réseau de transport.
MSM : Seriez-vous favorable à la création d'un seul barreau seine-et-marnais ?
M.-C. W. : Le barreau est attaché à un TGI. Créer un barreau unique pour la Seine-et-Marne n'a de sens que si deux tribunaux sur les trois étaient supprimés. La situation exceptionnelle de la Seine-et-Marne doit-elle être maintenue à tout prix ? Ce choix se justifie géographiquement. Il est vrai que c'est presque un luxe pour les Seine-et-Marnais d'avoir ces trois TGI à leur disposition. Pour le justiciable, la proximité d'une juridiction est essentielle. La Chancellerie pourrait entreprendre une nouvelle reforme de la carte judiciaire mais ces réformes ne sont pas des demandes des avocats. Nous les subissons et nous nous adaptons.
Ainsi, des avocats exerçant près de tribunaux supprimés, parvenaient tout de même à conserver une partie de leur clientèle en continuant à exercer dans leur ville, mais ils se déplacent pour plaider devant la nouvelle juridiction.
MSM : Des antennes du TGI ne sont-elles pas envisageables ?
M.-C. W. : Lorsqu'un tribunal est supprimé, il est possible de maintenir sur place une activité spécifique telle que les affaires familiales. Ce serait bénéfique pour les justiciables si des tribunaux devaient être supprimés dans le département. La tendance est également à la spécialisation de certains tribunaux par région sur un type particulier de contentieux. On voit, par exemple, l'adoption internationale se concentrer sur Paris. C'est aussi un problème de technicité. À défaut de magistrats, l'État rationalise et concentre les contentieux pour en améliorer le traitement. On nous dit même que c'est une autre forme d'excellence… C'est une vision qui se défend, mais ainsi, on éloigne le justiciable de son juge, ce qui n'est pas une bonne chose.
MSM : Aujourd'hui, pensez-vous qu'il vaut mieux rester sur les trois barreaux ?
M.-C. W. : Nous ne sommes en concurrence ni avec le barreau de Melun ni avec celui de Fontainebleau. En revanche, la moitié des avocats de France se trouvent concentrée à notre porte, sur Paris où la pression démographique est forte. Avec de surcroît la réforme du mois d'août 2016 sur la postulation de cour, il faut bien reconnaître que l'on souffre énormément.
MSM : Un seul barreau seine-et-marnais ne pèserait-il pas davantage face à Paris ?
M.-C. W. : Non, je ne pense pas. Aujourd'hui, nous sommes tous avocats à la Cour. Cette dénomination – qui à l'origine ne concernait que les avocats inscrits dans un barreau qui était également le siège d'une cour d'appel – conserve dans l'esprit des justiciables, une connotation très qualitative, alors qu'elle n'est pas une spécialité. C'est d'ailleurs principalement sur le contentieux général que les avocats de Meaux sont en concurrence avec leurs grands voisins.
MSM : Quels sont vos rapports avec les autres barreaux d'Île-de-France ?
M.-C. W. : Les barreaux de Créteil, Bobigny et Nanterre constituent les barreaux de la petite couronne parisienne. Ils sont soumis à la même pression démographique du barreau de Paris. Sans cette présence en nombre, ils auraient peut-être pu créer et développer localement des structures beaucoup plus importantes. Le réservoir d'avocats parisiens est si important, que cela provoque fatalement un déficit au détriment des barreaux qui l'entourent.
MSM : Récemment, le CNB a voté pour une délibération portant de 1 600 à 3 000 euros les frais d'inscription à l'EFB, qu'en pensez-vous ?
M.-C. W. : Si l'on compare l'école du barreau à d'autres filières comme les écoles d'ingénieurs ou de commerce, cela reste raisonnable. C'est une école régionale réputée et c'est la plus grande du pays. Les frais d'inscription sont restés modestes pendant de très nombreuses années, ce qui était une chance pour les élèves. L'effort demandé aux étudiants et à leurs familles est important, et passe mal, car il vient après la maîtrise. L'augmentation demandée est importante, mais ne me paraît pas choquante. Les élèves de l'EFB sortent tout de même avec le diplôme d'une profession recherchée, qu'ils vont valoriser durant leur exercice professionnel.
MSM : Et que pensez-vous de la collaboration qualifiante, autre décision du CNB ?
M.-C. W. : Ce changement peut permettre à certains d'accéder au diplôme et à la profession d'avocat si cette collaboration est véritablement qualifiante et contrôlée, elle peut constituer une autre filière d'intégration. Je reste persuadée que c'est sur le terrain que l'on apprend ce métier. Même si les études ont été extrêmement brillantes sur le plan intellectuel, il faut être confronté à la réalité du terrain, à la demande du client, aux exigences des magistrats. Ce n'est qu'à l'intérieur d'un cabinet d'avocats que l'on se forme et que l'on apprend. Après la suppression du stage, des avocats fraîchement diplômés ont pu s'installer sans aucune expérience. Ce qui est souvent catastrophique pour eux. La collaboration qualifiante, si elle est bien menée, peut représenter un espoir.
MSM : Très récemment, Kami Haeri a a publié un rapport intitulé « L'avenir de la profession d'avocat », évoquant notamment l'avocat en entreprise. Y êtes-vous favorable ?
M.-C. W. : J'ai rencontré des avocats en entreprise à l'étranger, notamment au Québec, qui exerçaient leur métier dans des conditions qui me paraissent tout à fait satisfaisantes et dignes. Les avocats français et leurs institutions représentatives se divisent sur cette question. De nombreuses réponses sont encore attendues sur le statut, les prérogatives, l'indépendance, le secret professionnel et la déontologie de cet avocat en entreprise. Il faut également régler le sort des juristes d'entreprise.
La réflexion progresse notamment grâce aux détachements d'avocats dans les entreprises pour des missions ponctuelles. Malgré tout, la plupart des avocats s'opposent à l'avocat en entreprise. L'opposition finira par tomber, car un certain nombre de jeunes, qui se destinent à la profession d'avocat, ont un double cursus, disposant à la fois d'un diplôme de commerce et du CAPA. Ces jeunes arrivent dans notre profession avec des idées sacrément innovantes.
Ils vont faire évoluer la profession de l'intérieur. Il me semble pourtant qu'ils ne doivent pas aller directement vers l'entreprise. Une expérience de cinq années dans un cabinet de droit des affaires me semble être un minimum afin d'acquérir une solide expérience du conflit d'intérêts et du secret professionnel. C'est en effet la déontologie de l'avocat qui doit pénétrer l'entreprise et non l'inverse. Nous devons être intransigeants sur ces points pour éviter de perdre toute crédibilité.
MSM : Revenons en Seine-et-Marne. Quelles sont les priorités de votre mandat ?
M.-C. W. : Défendre mon barreau face à la pression démographique est ma priorité. Vous avez à votre disposition 190 avocats inscrits au barreau de Meaux, consultez-les !
Par ailleurs, ces avocats doivent intégrer la problématique des legaltechs et de la demande juridique en ligne. La plateforme du CNB pour la consultation juridique des avocats, est une excellente chose. Je me réjouis d'ailleurs de voir que certains avocats du barreau de Meaux s'y sont inscrits. Je voudrais que d'autres suivent ce mouvement, puisque cette plateforme est la seule qui respecte parfaitement notre déontologie.
Les MARD, Modes alternatifs de règlement des différends, représentent également une voie innovante. Les avocats du barreau de Meaux ont compris qu'il n'y avait pas que le judiciaire aujourd'hui pour résoudre les différends. À côté de la médiation, le processus collaboratif et la procédure participative vont s'imposer Ces méthodes transforment la façon même de travailler des avocats. Il y a actuellement un réel essor du droit collaboratif. Dans notre barreau, les avocats se forment et découvrent une nouvelle approche des dossiers et de la relation avec leurs clients.
Je m'étais moi-même formée à cette méthode il y a dix ans, mais trop peu d'avocats acceptaient à ce moment-là de la mettre en pratique. C'était prématuré. Il faut à présent que ces méthodes alternatives soient utilisées par le plus grand nombre d'avocats. Nous avons, au barreau de Meaux, des avocats jeunes, dynamiques, et je ferai tout mon possible pour les accompagner dans ce changement. La question de leur mode d'exercice professionnel se pose également. Je pense qu'ils doivent se regrouper.
MSM : Ce regroupement passe par l'interprofessionnalité ?
M.-C. W. : Oui, sans doute. Mais le risque est de se rapprocher de professions qui capitalistiquement ont des moyens très supérieurs à ceux de la profession d'avocat. Cela pourrait poser des problèmes d'indépendance. Ce type de rapprochement doit nous inciter à veiller à l'équilibre des forces et des moyens. Il existe en revanche, de véritables synergies à mettre en place. On pense, bien entendu, aux experts-comptables avec lesquels il faut cesser de s'affronter sur le périmètre du droit pour travailler conjointement chacun dans son domaine de compétence aux côtés des entreprises.
Les cabinets unipersonnels sont fragiles, leur avenir est incertain. L'investissement dans les nouvelles technologies leur sera mal aisé. Des regroupements doivent encore se mettre en place pour répondre à la demande de « full service » de la part d'une clientèle de plus en plus exigeante et pressée. Pour le droit, somme-nous vraiment dans une offre plus globale ? Nous voudrions le croire…