"Osez le risque"

L'École nationale d'administration (ENA), l'École des Hautes études commerciales (HEC) et l'École de guerre (EdG), qui ont pour mission de former les décideurs de demain, ont organisé un colloque très vivant sur le thème du risque et de sa réhabilitation.

TerritoiresCollectivité Publié le ,

Chaque année, les élèves de ces trois grandes écoles confrontent leurs visions à l’occasion d’un colloque. Après avoir traité en 2012 de l’action dans l’incertitude et en 2013 du décideur du XXIe siècle, ils ont abordé cette année le thème du risque et de sa réhabilitation. Pour la cinquième année consécutive, ce colloque est l’aboutissement d’un partenariat d’un an, riche d’échanges, de confrontations, d’idées et de réflexions collectives. C'est un précieux carrefour de rencontres entre futurs dirigeants de la société civile, de la défense et de la haute administration. Dans nos sociétés occidentales où le besoin de sécurité prédomine à tous les niveaux, la prise de risque semble être devenue taboue. Principe de précaution, judiciarisation grandissante, tentation du risque zéro… du gaz de schiste à l'utilisation des drones armés, en passant par la régulation des marchés financiers, nombreux sont les exemples qui démontrent la volonté de minimiser, de maîtriser, voire de supprimer le risque.

Cependant, face aux enjeux politiques, économiques, technologiques, sociaux et sociétaux d'un monde où foisonnent les incertitudes, cet ostracisme du risque constitue à la fois un véritable danger et un défi pour les responsables et les décideurs de demain. La prise de risque doit-elle disparaître au profit d'un immobilisme rassurant ou, au contraire, doit-elle être réhabilitée et assumée pour susciter de nouvelles opportunités ? Les participants ont choisi la seconde option autour de deux tables rondes intitulées « La tentation du risque zéro dans nos société contemporaines » et « Pour une réhabilitation de la prise de risque ».

Pessimisme français

Après une intervention du général d’armée Muller, ce fut au tour de maître Alexis Gublin (avocat d'affaires qui a notamment traité les affaires du naufrage de l’Erika, Sentier I et II, Karachi, des biens mal acquis, espionnage EDF…) d’estimer que « le principe de précaution c'est ce que l'on ferait dans le meilleur des mondes alors que le risque, c'est la réalité ». De fait, le risque est inhérent à l'activité humaine, il faut non pas le gérer, mais faire avec ! Selon lui, on gère des contradictions permanentes. En prenant l’exemple de la loi sur la récidive et les peines planchers, il démontre que le législateur a en même temps durci le traitement des personnes en état de récidive et réduit les conditions pour être considéré comme telle, donc assoupli le droit pénal. Pour l’ancien député de la Charente Jean-Claude Viollet, « la vie c'est l'acceptation première du risque ». Selon lui, il y a quelques dizaines d'années que ce pays n'a plus de vision stratégique et passe à côté du traitement de l'équilibre entre la loi et le contrat. "La démocratie moderne est celle qui laisse le plus de place au contrat". Si le politique a l'art de faire la trame du tissu social, il ne doit pas décider de tout et laisser les citoyens prendre part à leur destin. "On légifère beaucoup trop et mal !". Il est rejoint par Xavier Fontanet, ancien pdg d’Essilor et président du comité d’éthique du Medef, qui souhaite que le droit français soit diminué de moitié et redonne de la force aux contrats.

Tous les panelistes sont d'accord sur le fait que l'échec est très mal vécu par les Français, peuple considéré comme l'un des plus pessimistes. Le général était d'ailleurs frappé de voir que les Afghans étaient plus optimistes que les Français pendant la guerre. L'échec doit être pris dès le départ et traité en amont. Cela passe par une attention particulière, du dialogue et du collectif selon Patricia Barbizet, directrice générale d’Artémis. Et de rappeler la fameuse formule de Winston Churchill : "Le succès, c'est d'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme". Pour avoir une pédagogie de l'échec, il faut assumer les siens. « L'être humain se développe par la prise de responsabilité » selon Xavier Fontanet qui estime que la prise de risque fait progresser. « Réhabiliter le risque, c'est d'abord avoir conscience de soi » selon Emmanuel Toniutti, président de l’International Ethics Consulting Group, qui prône l’écoute de l’autre et la connaissance de ses capacités afin de déterminer une stratégie efficace et pondérée quant aux moyens et aux types de risques.

Réhabiliter la prise de risque

Le colonel Vincent Pons souligne que le mot risque est très peu présent dans le champ lexical militaire. Paradoxalement, on parle d'audace et de danger, mais pas de risque. Pourtant, le risque zéro n'existe pas et la guerre tue. Il reste toutefois optimiste sur la capacité de notre armée à permettre aux chefs de prendre certains risques sur les opérations, n’ayant pas ressenti de frein à l'action dû à la « politique zéro mort » sur le terrain. On devrait s’inspirer davantage de la devise des militaires britanniques « Qui ose, gagne ».

Pour conclure, comme le dit Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’Etat, dans son allocution de clôture « Dans une société marquée par l'inflation et la diversification des risques, il ne saurait être question de réduire les risques à néant, sauf à renoncer à toute action publique. Le risque, l'erreur et l'échec sont à prendre au sérieux. Il faut les assumer, être tourné vers l'action et refuser l'illusion du risque zéro. » Ainsi, la réhabilitation de la prise de risque semble être l'une des conditions du relèvement de notre pays et du continent européen face à la crise économique. Ce qui implique de renouveler notre conception de l'éthique de la décision, du culte français de la perfection et de notre phobie de l’échec.

Anne Moreaux

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