Affiches Parisiennes :Décrivez-nous l’évolution des contrats d’assurance vie français.
Fabrice Luzu : On peut distinguer trois temps dans l’évolution de l’assurance vie. C’est une loi de 1930 qui crée le Code des assurances, dispositif législatif qui n’a pratiquement pas évolué alors que parallèlement les contrats d’assurance vie ont subi des mutations extrêmement lourdes et profondes. Chemin faisant, le différentiel entre les contrats et leur cadre réglementaire et législatif est devenu très important.
Initialement, les contrats d’assurance vie étaient des contrats d’assurance décès, qui reposaient sur des mécanismes de pure prévoyance et non d’épargne : le souscripteur-assuré paye une prime chaque année et en cas de prédécès la compagnie d’assurance verse un capital au bénéficiaire désigné. Tandis que, si l’assuré survit au terme de ce contrat, la prime d’assurance a été versée à fonds perdus. Ce type de contrats, que nous trouvons encore comme garantie d’un prêt bancaire ou sous l’appellation d’assurance temporaire décès, est purement aléatoire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de proportion entre la prime versée à fonds perdus et le capital perçu. Par exemple à 40 ans, avec 1000 euros de prime annuelle on s’assure pour un capital d’un million d’euros en cas de prédécès. Le mécanisme assurantiel repose sur deux ressorts : la mutualisation des risques (la compagnie assure une classe d’âge et c’est la somme mutualisée des primes versées qui permet à la compagnie d’assurance de payer le capital en cas de décès d’un assuré de cette classe d’âge) et un calcul actuariel (l’espérance de vie et donc la probabilité de prédécès déterminent le montant de la prime à verser).
Avec le temps et sous les pressions consuméristes des années 60, ces contrats ont muté. Afin de répondre aux souhaits de leurs assurés qui ne voulaient plus verser à fonds perdus, les compagnies d’assurance ont construit des contrats d’assurance vie mixtes, permettant de garantir le décès et de récupérer une partie de l’épargne en cas de survie. En revanche, le souscripteur ne savait pas avec précision quelle était la part de la prime versée qui était épargnée, et celle qui alimentait la garantie en cas de décès. Ces contrats mixtes souffraient donc d’un manque de transparence.
Les contrats d’aujourd’hui sont des contrats de capitaux différés, avec une contre-assurance en cas de décès : en versant un capital de 100 000 euros par exemple, la compagnie d’assurance s’oblige à le restituer au terme du contrat. La contre-assurance permet le versement de ce capital en cas de décès de l’assuré avant l’échéance du contrat. Le contrat d’assurance vie moderne est donc un composite : il s’agit d’un contrat génétiquement modifié qui s’apparente en réalité davantage à un produit de placement qu’à un authentique contrat d’assurance vie. Pour autant, les contrats d’assurance vie modernes sont donc plus souples, plus transparents, plus performants. Ils proposent notamment de nombreux supports financiers entre lesquels le souscripteur peut faire naviguer son épargne. Ces évolutions ont profité au consommateur. Toutefois, le cadre juridique n’a pas suivi ces évolutions. Autrement dit, on applique à des contrats modernes, d’épargne et de capitalisation, un dispositif législatif qui n’a pas été conçu pour eux, mais pour des contrats de pure prévoyance.
A.P. : Pourquoi souscrire une assurance vie ?
F. L. : Parce que c’est un très bon produit de placement, un produit très souple et avant tout un produit qui bénéficie d’une fiscalité privilégiée, qu’il convient de préserver.
A. P : Quelle réforme législative serait opportune ?
F. L. : Il devient très urgent que le législateur intervienne. Il convient d’aplanir les différences existant entre le Code civil et le Code des assurances. Trois sujets appellent une réforme. Tout d’abord, ce contrat devrait être pris en compte dans l’assiette des droits des créanciers puisqu’il s’agit d’une épargne. Des dispositifs permettant d’éviter la fraude fiscale ont d’ailleurs été adoptés en ce sens dans la Loi de Finances pour 2014. Autre sujet : l’exclusion des règles du régime matrimonial : depuis l’arrêt Praslicka de 1992, diverses étapes et décisions sont intervenues tant au plan juridique que fiscal. Elles vont dans le sens de la disparition du tropisme des contrats d’assurance vie au regard des règles du régime matrimonial. Pour davantage de sécurité, il convient simplement désormais que le législateur modifie le Code des assurances, afin qu’il soit en ligne avec l’état du droit positif.
Dernier thème : les règles de succession. Par principe le contrat d’assurance vie est « hors succession », ce qui signifie qu’il n’est pas comptabilisé pour le calcul de la réserve héréditaire, sauf si les primes versées sont manifestement excessives. Un instant avant le décès du souscripteur-assuré, la valeur de rachat du contrat figure dans son patrimoine mais à l’instant même où il s’éteint, cette valeur ne figure plus dans son patrimoine successoral. Ce traitement dérogatoire est inique et incompréhensible. Pour éviter cette incohérence, seules deux voies sont praticables : celle des primes manifestement exagérées et celle de la requalification du contrat (qui vise à montrer que la dimension d’épargne a supplanté la dimension de prévoyance et que les contrats modernes ne constituent plus d’authentiques contrats d’assurance vie). Ces deux voies sont de nature contentieuse : elles sont incertaines et créent beaucoup d’insécurité et d’iniquité. Ce contentieux de plus en plus important encombre inutilement les tribunaux.
A. P : Qu’en pensent les notaires ?
F. L. : Pour les notaires, il n’est pas logique d’avoir deux poids, deux mesures. Il ne faut pas laisser subsister dans les patrimoines des clients des actifs dont les traitements seront différenciés. Dans le cadre du Congrès des notaires de 2012 sur la transmission, des propositions ont été formulées auprès de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, qui visent à dire que l’assurance vie, même si elle ne constitue pas une libéralité en elle-même, y ressemble beaucoup, et devrait être traitée comme telle. Nous avons proposé une réécriture de l’article L 132-13 afin que le contrat d’assurance-vie soit traité juridiquement comme une libéralité. Il suffit simplement au législateur de s’en saisir.
A. P : Qu’en pensent les assureurs ?
F. L. : Aujourd’hui, les compagnies d’assurance demeurent opposées à ces modifications mais pour de mauvaises raisons. Elles craignent qu’à l’occasion de ces modifications, le législateur ne soit tenté de diminuer les avantages fiscaux dont l’assurance vie bénéficie encore. Ces craintes sont infondées car le législateur fiscal, comptable des deniers publics, raisonne en opportunité. Ainsi, la fiscalité des contrats d’assurance vie a été très récemment modifiée indistinctement de son régime juridique.
D’autres arguments sont parfois avancés par les compagnies d’assurance en cas de modification du cadre législatif de l’assurance vie : une décollecte massive pouvant entraîner un risque systémique et l’incapacité pour l’Etat à placer sa dette sous forme obligataire…. En réponse, un rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 formule notamment trois observations : la proportion de dette de l’Etat dans les portefeuilles des assurances a diminué de moitié en dix ans ; les compagnies d’assurances n’investissent que très peu dans l’économie réelle (titre de sociétés non financières) ; il n’y a pas d’évaluation précise de la dépense publique que représente le régime de l’assurance vie. Aujourd’hui, il y a à peu près 1 300 milliards d’euros placés dans les assurances vie.
A. P : Quel est l’avenir de l’assurance vie ?
F. L. : L’avenir, c’est qu’il y a visiblement une harmonisation en marche en matière de saisissabilité et de régimes matrimoniaux. Ainsi, le législateur doit se saisir du sujet pour confirmer cette harmonisation en matière de transmission et modifier en conséquence le Code des assurances. En outre, deux nouveaux contrats d’assurance vie sont en train de voir le jour : « Euro croissance » et «Vie génération ». Je ne sais pas si le premier rencontrera le succès escompté, mais je considère que le second est très pertinent parce qu’il permet au souscripteur d’investir son épargne directement dans certains domaines (titres de PME ou d’ETI, économie solidaire et logement social), donc d’irriguer des secteurs qui ont besoin de soutiens économiques et financiers.
Propos recueillis par Anne Moreaux.