Concernant les femmes, vous êtes très impliquée sur le dossier des violences conjugales. Quels sont les actions que vous avez menées et les projets de loi que vous suivez ?
Nous avons d'abord été saisis au début de la mandature sur toutes les questions de harcèlement de rue et de prescription. Vous savez, notamment à travers des affaires assez médiatisées, je pense notamment au cas de Flavie Flament, qui n'avait pas pu déposer plainte parce que la prescription était acquise. Suite à une étude, nous avons rallongé le délai de prescription pour ces infractions pour permettre aux jeunes filles de pouvoir déposer plainte le plus tard possible.
Nous avons également créé un nouveau délit, l'outrage sexiste ; une contravention de catégorie 4. Les policiers s'en sont emparés, malgré ce que pouvaient dire certains de nos détracteurs. Une série de contraventions ont pu être délivrées. Nous avons la volonté que les femmes puissent se déplacer dans l'espace public sans être inquiétées. Nous avons également fait ce texte de loi pour revoir la question de la preuve de non consentement en matière de viol. Rappelez-vous… Il y a eu plusieurs affaires jugées à la Cour d'assises, notamment de Pontoise. Un auteur de viol avait été acquitté parce que la preuve n'était pas apportée, malgré le fait que la victime soit très jeune. Il y a un débat récurrent sur ce point de savoir s'il y a un âge où la preuve du non-consentement n'a plus besoin d'être apportée. Certains parlent même d'une présomption irréfragable de non consentement. Nous n'avons pas retenu ce point, mais nous avons quand même été plus loin dans cette voie, en considérant que le grand écart d'âge entre la victime et l'auteur pouvait faire présumer la contrainte. C'était une première étape. Cette première loi est en train actuellement d'être évaluée par Alexandra Louis, la députée qui la portait, pour mesurer les effets de ce texte sur le plan de la contravention, sur le plan des poursuites pénales et pour voir si, effectivement, nous avons atteint nos objectifs en la matière.
Il y a également eu le Grenelle des violences conjugales…
Oui, nous avons tous parlé ou entendu parler du Grenelle des violences conjugales, considérant qu'il y a aujourd'hui en France beaucoup trop de femmes qui subissent des violences dans leur couple ; violences qui peuvent aller jusqu'au meurtre. Il était donc indispensable de faire un état des lieux de la situation et de voir quels étaient les moyens très concrets que nous pouvions mettre en œuvre pour faire face à ce problème de façon efficace.
Ce Grenelle a ainsi été un moment clé. Sur tout le territoire, les préfets, les procureurs, les associations qui s'occupent de ces situations, les parlementaires, les élus, d'une façon générale, se sont réunis pour faire un état des lieux des problématiques et de remonter des solutions ou des bonnes pratiques. Il a débouché sur une proposition de loi portée par Bérengère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha. Dans le même temps, nous avons voté une autre proposition de loi sur l'ordonnance de protection pour apporter un maximum d'améliorations sur le sujet. Nous avons modifié l'ordonnance de protection, notamment en raccourcissant de façon drastique les délais dans lesquels les juges doivent prononcer l'ordonnance de protection. Nous avons également travaillé sur le bracelet anti-rapprochement, sur l'éloignement du domicile du conjoint violent, sur l'autorité parentale et sur l'indignité successorale. Ces actions très variées, touchant beaucoup de domaines, nous ont permis d'avoir une vue à 360 degrés sur ce phénomène de violences conjugales, tant pour les empêcher que pour les gérer. Je pense au logement, je pense aux droits de garde... J'espère que le dispositif que nous avons adopté va permettre d'améliorer la situation de ces femmes.
Il y a ce que le législateur fait, mais il y a aussi ce que l'État va mettre en place au niveau de l'accueil des victimes dans les commissariats. J'ai accompagné le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner dans les Yvelines pour voir quels étaient les dispositifs que la Police nationale et la Gendarmerie avaient mis en place pour l'accueil des victimes, dans la formation des agents qui reçoivent la parole de la victime, dans la présence de psychologues dans les commissariats avec des personnes vraiment dédiées à cette question. Nous savons que, parfois, les femmes ont peur de porter plainte. A ce niveau, il y a également la plainte en ligne, pour permettre aux femmes de franchir plus facilement cette première étape. Il y a, par ailleurs, le développement de l'accueil à l'hôpital avec, dans les Yvelines, mais pas seulement, la signature de conventions entre le procureur, la Police nationale, la Gendarmerie, la Préfecture pour que les femmes victimes puissent être accueillies dans les hôpitaux, y porter plainte, avec un recueil des preuves et une bonne conservation des données.
Les femmes victimes de violences conjugales ne portent pas forcément plainte immédiatement ?
Exactement. Parfois, ces femmes diffèrent leur plainte de plusieurs mois. Il faut donc avoir préétabli la preuve pour qu'elles puissent démontrer les violences dont elles ont été victimes. Il y a aussi ce volet qu'il est très important de développer, avec parallèlement un dispositif de levée du secret médical. Lorsqu'un médecin constate qu'une femme est vraiment en danger immédiat, il doit pouvoir alerter les autorités compétentes. Ce sont des mesures extrêmement pratiques. Il faut vraiment, dans ce domaine-là, être très concret, sortir de l'idéologie et des postures dogmatiques afin de tout mettre en œuvre pour protéger ces femmes qui sont dans une grande souffrance, qui sont fragiles, qui peuvent être sous l'emprise psychologique de leur conjoint, mais également sous une emprise économique…
La méconnaissance de leurs droits peut leur faire craindre de perdre l'autorité parentale sur leurs enfants. Il faut donc vraiment les rassurer et permettre la meilleure prise en charge possible dans le plus d'endroits possible. Au final, il faut dire à ces femmes que la peur doit changer de camp, que ce sont elles les victimes, que la société est là pour les protéger 24 heures sur 24, et qu'elles ne doivent pas hésiter à frapper aux portes. Notre responsabilité, c'est de faire en sorte que derrière toutes ces portes, il y ait quelqu'un capable de prendre en compte leurs difficultés, leurs problèmes pourt les résoudre immédiatement.
Notamment à travers les dispositifs d'éloignement du domicile conjugal des personnes violentes ?
Oui, notamment. Il faut savoir que ce n'est pas à la femme de quitter le domicile conjugal avec ses enfants et de se retrouver à la rue ou dans un foyer. C'est à l'homme violent de partir. D'où la création également de foyers pour les hommes dans tous les départements, pour qu'ils soient pris en charge sur le plan psychologique et pour qu'on puisse les éloigner de leurs épouses.
Les dispositifs sont très variés, comme vous le voyez. Nous serons bien entendu très attentifs à leur évolution, et pourrons les redéfinir, s'ils ne sont pas efficients, ou les compléter.
Qui va être chargé de prendre les décisions ? Un juge aux affaires familiales ?
Cela dépend de chaque décision. Pour les ordonnances de protection, les bracelets anti-rapprochement, c'est effectivement le juge aux affaires familiales qui prend la décision, uniquement si les deux époux sont d'accord. Cela reste quand même contraignant. Si le juge civil ne recueille pas le consentement des personnes, il transmet au procureur qui lui, peut ordonner la pose du bracelet. Néanmoins, pour toutes ces mesures, c'est principalement le juge civil qui interviendra.
Vous avez récemment fait une visite en Seine-et-Marne sur le registre des peines alternatives. Pouvez-vous nous dire quelques mots ?
Il y longtemps que je souhaitais faire une journée d'immersion dans un service des SPIP – Service pénitentiaire d'insertion et de probation, NDLR. J'ai choisi celui de Seine-et-Marne parce qu'à plusieurs reprises, je suis allée voir les dispositifs mis en place, notamment un dispositif autour des chantiers d'insertion avec l'entreprise Arès, à la prison de Réau, et une exposition sur les femmes menée avec des commissaires d'exposition détenus. J'avais vu ces deux dispositifs et dans ce cadre, ce que faisaient les SPIP dans ce département méritait qu'on s'y arrête un peu plus longuement. J'ai donc pu assister à de nombreux entretiens avec des poses de bracelets, avec des personnes qui étaient en sursis, mises à l'épreuve, en libération sous contrainte… C'était extrêmement intéressant parce qu'on voit bien qu'il y a un continuum entre le dedans-dehors et qu'on est vraiment sur des modalités d'exécution d'une peine.
On pense toujours “peine = prison = derrière les murs”, mais en réalité, l'éventail de peines est extrêmement large et on voit bien que ce qui est intéressant, c'est qu'à la prison vont succéder des mesures souvent de mise à l'épreuve, de suivi médical, d'obligation de travail. Le SPIP est justement là pour mettre en œuvre ces mesures, s'assurer de leur application et aussi aider les personnes violentes à mieux se réinsérer dans la société.
Les services de probation et d'insertion sont finalement, plus que tout autre, confrontés aux défis de la réinsertion et donc de la protection de notre société. Ils sont en première ligne et le fait de passer une journée avec eux m'a permis de leur témoigner de la reconnaissance de ce travail vraiment fondamental et assez méconnu.
Quel est le pourcentage de personnes qui sortent après avoir passé du temps avec eux ? Est-ce que ces personnes se réinsèrent facilement ?
Sur le terrain, nous constatons très peu d'échec de ces mesures auxquelles les personnes sont astreintes, bracelet électronique, mise à l'épreuve. Celles-ci sont donc globalement très positives. Nous avons toujours une même difficulté en matière d'évaluation sur le long terme. On ne connaît pas le parcours des personnes à cinq ans ou à 10 ans, et c'est pourquoi j'ai tenu à introduire dans la récente loi justice l'obligation pour le ministère d'affiner sa production de statistiques. Nous savons néanmoins qu'une personne qui a effectué un travail d'intérêt général a moins de chance de récidiver. Les sorties sèches présentent plus de risques de récidive que les sorties aménagées.